Devant les crises économiques et sanitaires qui s’additionnent à l’instabilité politique, Mgr Gollnisch, directeur de l’Œuvre d’Orient tire la sonnette d’alarme: les chrétiens d’Orient n’ont plus de ressources pour vivre. Il appelle au réveil du rôle social de l’Eglise.
A la veille d’une journée de solidarité avec les Chrétiens d’Orient, ce dimanche 17 mai, c’est un appel à l’aide d’urgence que Mgr Pascal Gollnisch, directeur de l’Œuvre d’Orient, lance à la communauté internationale. Les communautés chrétiennes de Syrie, du Liban ou d’Irak – qui ont si souvent le malheur de figurer parmi les persécutés de ce monde – sont de plus en plus menacées par la chute, voire la perte totale de leurs ressources. L’addition des crises politiques, économiques et sanitaires affecte désormais leur survie matérielle – le confinement ayant été décrété dans les trois pays.
Sans surprise, c’est en Syrie que la situation est la plus critique, non pas tant en raison du confinement ou de la guerre, mais des sanctions décrétées par l’Union Européenne et les Etats-Unis. Nombreuses sont les voix en France et en Belgique qui commencent à s’élever contre les sanctions européennes destinées à punir le régime de Bachar El Assad….« Si le gouvernement de Damas est considéré comme illégitime, alors il faut sanctionner le gouvernement et non, la population », souligne Mgr Gollnisch qui appelle à une levée de cette double peine qui accable la population syrienne. Une voix à laquelle se joignent des parlementaires belges. Pour la population syrienne, dont les chrétiens qui sont restés – à Alep, ils sont 25.000 contre 250.000 avant la guerre! –, les conséquences de ces sanctions en période de confinement sont concrètes: absence de médicaments de première nécessité et de matériel médical, manque de carburants, impossibilité de transférer de l’argent, y compris des petites sommes de quelques centaines d’euros pour soutenir les familles les plus pauvres…
Le Liban à genoux
Mais le cœur de l’actualité s’est déplacé depuis quelques mois vers le Liban. Déclaré officiellement ‘Etat en faillite’ depuis le 9 mars, il est traversé par une crise économique profonde, ayant atteint le système bancaire, la monnaie, les transferts – venant de la diaspora – et les importations dont le pays est très dépendant. Face à cette faillite de l’Etat, une insurrection populaire a occupé le pavé depuis octobre dernier, réclamant le départ d’une classe politique corrompue et accaparée par le clientélisme: de manière inédite, sunnites, chiites, chrétiens ou Druzes se sont unis pour réclamer une classe politique ayant le sens du bien commun. Le confinement imposé par l’arrivée du coronavirus, avec la fermeture totale des magasins et des frontières, l’arrêt des activités professionnelles, la limitation des échanges commerciaux a achevé de mettre les Libanais, à genoux. Sans parler du million et demi de réfugiés syriens qui accentue les défis.…
L’une des grandes inquiétudes est que l’addition de ces crises frappe les chrétiens du Liban et de Syrie dans leurs deux missions essentielles au Proche-Orient: la santé et l’éducation. Ce sont quelque 400.000 élèves qui bénéficient chaque année des structures éducatives chrétiennes dans tout le Proche Orient, y compris en Palestine. La survie de ces établissements ouverts aux musulmans et aux chrétiens est essentielle pour la préparation des futures élites du pays où le français comme langue d’enseignement est vecteur de valeurs – liberté, égalité, fraternité, mais aussi d’esprit critique ou de laïcité. Au Liban, la situation des petits établissements est particulièrement difficile en ce moment. Leur disparition risquerait d’enfoncer davantage ces pays dans l’ornière du confessionnalisme, menaçant la dimension universelle et fraternelle des écoles et établissements de santé chrétiens.
Une doctrine sociale de l’Eglise pour le Proche Orient?
Dans ce contexte, les Eglises d’Orient sont plus que jamais face à un double défi: aider les chrétiens à ne pas quitter la région, tout en œuvrant pour un changement de mentalités. Plusieurs programmes d’aide aux chrétiens, notamment la scolarité des enfants, sont ainsi conditionnés au fait qu’ils acceptent de ne pas s’exiler. « Au-delà, il faut aussi constater, a déclaré Mgr Gollnisch à l’occasion d’une conférence de presse tenue le 5 mai, qu’il n’y a pas eu en Orient, comme il y a eu en Amérique latine, de doctrine sociale de l’Eglise« . Accompagner la prise de conscience de la responsabilité sociale de l’Eglise en Orient est une priorité, pouvant l’amener sur le terrain politique surtout en cette période insurrectionnelle qui cherche des cadres pour formuler un nouveau pacte social. Dans cette optique, des jeunes chrétiens venus des différents pays du Proche Orient se sont réunis cet été à Beyrouth à l’occasion des journées régionales de la jeunesse. Mais la situation pour eux reste délicate: comment ne pas faire en sorte que les chrétiens d’Orient soient une nouvelle fois perçus comme des « agents » de l’Occident, bénéficiant d’un statut distinct et donc potentiellement victimes?
Laurence D’HONDT
Une interview de Mgr Sako, patriarche de l’Eglise chaldéenne en Irak est à lire dans Dimanche n°20, « Nous sommes ici pour témoigner de la fraternité universelle ».