« Corona reset »: redémarrer autrement, absolument!


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« Corona reset »: redémarrer autrement, absolument!
Par Nancy Goethals
Publié le - Modifié le
9 min

Après la crise du coronavirus, les citoyens demandent un changement de paradigme (logo de la page Facebook du mouvement "corona reset")

Nombreux sont ceux qui aspirent à un changement de la société. La crise que nous vivons actuellement et toutes ses implications économiques leur donnent certainement raison. Une carte blanche circule depuis peu sur les réseaux sociaux pour inviter nos politiques à avoir le courage et la volonté de changer de paradigme. Elle rencontre un vif succès: plus de 15.000 personnes l'ont signée en une semaine.

Un mouvement pour changer le modèle de nos sociétés a été initié au départ d'un simple post d'une internaute et citoyenne, Sandra, s'exprimant à titre personnel. Au début du confinement, elle a pris sa plume – ou plutôt son clavier – pour partager sa réflexion sur l'après-corona, sous forme d'une carte blanche. Elle ressentait le besoin d'écrire car elle était choquée par le nombre de personnes atteintes et de morts et qu'elle ressentait cette crainte, partagée par tout le monde, que des proches soient touchés. "D'autre part, dit-elle, j'ai eu l'impression qu'il y avait déjà dans le chef de certains dirigeants une préoccupation majeure de revenir à un schéma en vigueur qui existe depuis longtemps. Pour certains paramètres, cela me pose question. Et je me suis rendu compte que je n'étais pas la seule. J'ai demandé l'avis d'une écrivaine, qui est très sensible aux questions environnementales, et nous nous sommes dit que nous pourrions faire quelque chose de plus collectif et voir si d'autres personnes ne s'y retrouveraient pas aussi."

D'abord relayée par quelques hommes et femmes engagés qui travaillent dans les secteurs associatif, culturel, académique, cette carte blanche a demandé de l'organisation: "Je me disais bien que cela allait faire écho mais je n'ai jamais imaginé l'ampleur des réactions". Dès lors, une page Facebook et un formulaire en ligne ont été créés pour que les gens puissent signer. "Nous ne faisons pas de publicité, c'est simplement retransmis par les internautes. Je laisse cela courir sur internet." Aujourd'hui, les profils des signataires sont très variés (indépendants, soignants, entrepreneurs, monsieur et madame tout le monde...).

Une utopie réaliste

Les initiateurs du mouvement insistent sur le fait qu'ils veulent "une utopie constructive, mais qui se veut effective! En effet, n’oublions jamais que notre système de sécurité sociale est né sur les cendres de la Seconde guerre mondiale. Les congés payés, l’accès aux soins de santé pour tout le monde, les allocations de chômage: tout cela aussi relevait alors de l’utopie. [Ils sont] la preuve que les changements sociétaux se préparent durant les crises et que l’élan vital permet d’évoluer vers un autre monde."

Encouragé par le nombre de signataires qui dépasse largement leurs attentes, le mouvement est déjà occupé à consolider sa pensée et les axes d’actions qui en découleraient. Pour réunir les opinions déjà existantes et éviter de réinventer la roue, les initiateurs souhaitent structurer et ne rien précipiter – malgré la viralité du message sur internet - car, peut-on lire, "la précipitation serait mauvaise conseillère."

Des cercles de réflexion par thématiques sont en train de se mettre en place, notamment autour de la sphère culturelle et de celle économie/travail, d'autres thématiques vont aussi faire l'objet de groupes de travail, telles que celles liées à l'environnement et à la démocratie. Par ailleurs, comme le projet n'en est qu'à ses prémices, les premières tâches sont de réunir des compétences qui permettent d'avancer. Entre autres:

  • des informaticiens pour gérer des listes avec les compétences des personnes qui pourraient contribuer à la viabilité de cette initiative
  • des économistes qui connaissent les rouages mais sont capables de les remettre en question de façon constructive
  • des politologues
  • et bien d'autres encore

Rebondir avec et pour toute l'humanité

Changer de paradigme, donner la parole à tous, de manière organisée c'est vouloir rebondir et accepter de requestionner nos modes de fonctionnements actuels. Dans le passé, d'autres avaient déjà appelé à changer, mais ils n'ont pas toujours été entendus. Peut-être est-ce le moment parce que c'est la planète entière qui est secouée?

Sans être radicale, ni vouloir tout rejeter et encore moins faire du "politic bashing", Sandra relève que si on continue d'accumuler des dettes (sociales, économiques, environnementales), cela deviendra intenable! "Ainsi, dit-elle, quand on dit qu'il n'y a pas de budget pour financer les transitions - mais qu'on voit que l'on peut en débloquer quand c'est une urgence -, les réticences politiques à activer la transition écologique et économique deviennent inaudibles et inacceptables." Les politiques doivent être capables de prendre des décisions difficiles mais indispensables pour le bien commun. Elle remarque d'ailleurs que la communauté européenne vient de mettre en pause des critères qui étaient considérés comme incontournables comme le pacte de stabilité et les critères du traité de Maastricht. Et, dit elle, "quand on voit les métiers qui sont valorisés maintenant ce sont les enseignants, tous les soignants… - bientôt les agriculteurs car il faut bien nous nourrir! Or ce sont toutes des professions qui ont été moins financées. C'est marquant!" Sur la question des budgets par exemple, elle se dit interpellée par des préoccupations à renflouer certains secteurs – aviation, automobile en particulier- alors que l'urgence climatique est là. "Loin de moi l'idée d'estimer que ces secteurs n'ont pas, comme ceux des soins de santé, de l'enseignement, etc, leur raison d'être mais - en terme de priorités – c'est choquant!" Sandra s'inquiète donc d'entendre des discours politiques incohérents, très contradictoires et peu transparents.

Un paragraphe de cette carte blanche appelle donc de tous ses vœux à privilégier et prioriser les relations humaines et l'attention à chaque être humain. "Nous sommes certains, gens de pouvoir, que vous pensez déjà à l’après: comment rebondir ou activer notre résilience, pour utiliser un vocabulaire à la mode. Et bien, c’est l’occasion rêvée pour rebondir autrement, pour faire mieux, pour nous créer un monde plus juste, où les relations humaines auront repris une place plus importante que celle des transactions financières et des dividendes à distribuer à une minorité, un monde où le travail sera mieux réparti afin que la moitié de l’humanité ne trime pas jusqu’à l’essoufflement, au détriment de sa qualité de vie, tandis que l’autre moitié vit dans la misère faute d’avoir accès à ce Graal de boulot. Un monde qui respectera toute l’humanité, animaux et écosystèmes compris. Un monde où notre être pourra se construire autrement, avec ses dimensions multiples et non plus confiné à celle, unique, de producteur de richesses économiques."

Indéniablement, à voir la viralité de cette lettre et les commentaires positifs et constructifs, les signataires sont inquiets de faire perdurer un système qui ne répond pas aux besoins actuels de la société et de l'environnement et qui fonctionne de manière obsolète.

Avant tout, réinventer la démocratie

La première idée était d'envoyer cette carte blanche aux grands journaux. Mais force est de constater que les médias sont submergés par des partages d'opinions. Ce projet est alors spontanément devenu autre chose: un petit mouvement avec des personnes qui proposent des choses concrètes, qui veulent s'impliquer. Sandra complète: "Si quelque chose doit naître, il faut le structurer, que ce soit collectif. J'ai l'impression que les gens ont clairement envie d'autre chose. Si le système ne fonctionne plus, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas changer de paradigme, en le construisant évidemment. Car ce qui est effrayant ici c'est qu'il ne faudrait pas tomber dans le chaos." Le risque de susciter des comportements dictatoriaux, comme en Hongrie par exemple, est en effet très grand. Sandra relève d'ailleurs qu'un autre risque important sera la prédominance des 'egos'. Heureusement, des associations déjà rodées aux assemblées citoyennes et à l'intelligence collective sont prêtes à accompagner ce projet de redémarrage ("reset"). Aussi la carte blanche insiste: "Nous sommes convaincus qu’il faudra associer les citoyens et les acteurs de la société civile à ce changement, et ce, d’une manière inédite. Qu’il faudra imaginer avec eux, avec nous, les moyens d’en faire les réelles parties prenantes d’un processus large et dont l’ouverture se justifie par le caractère exceptionnel du moment. La démocratie, elle aussi, devra se réinventer."

Sandra se réjouit d'ailleurs de voir dans les journaux des interviews de personnes 'de haut vol' (économistes, entrepreneurs...) qui demandent au gouvernement de prévoir 'l'après corona'. La carte blanche insiste par ailleurs sur la confiance en la créativité de chacun et chacune et sur l'importance de défendre un environnement sain et viable. Ce sont là des éléments essentiels pour assurer la préservation de nos droits fondamentaux.

Rendez-vous avec l'histoire?

Face à toutes ces crises qui se superposent, chacun a un rôle à jouer: "Moi je ne suis pas soignante, donc ma compétence c'est d'écrire, d'exprimer mes idées"... Sandra se voit donc comme une passeuse d'idées et de propositions.

Cette initiative, déjà relayée par tant de monde, invite donc à revisiter nos comportements. A tous, citoyens et politiques, l'opportunité est donnée de pousser sur le bouton "reset" pour redémarrer une réflexion cette fois de manière holistique, c'est-à-dire qui tienne compte de tous les impacts des décisions et de leurs interactions, pour ne plus laisser personne sur le côté.

Un autre monde est possible; chacun et chacune peut y contribuer; c'est pourquoi cette carte blanche s'adresse aux gens de pouvoir mais aussi à tous les citoyens et citoyennes. Elle se termine par cet appel à agir sans plus attendre, parce qu'une fois le retour à la 'normale', il sera très aisé de retourner aux bonnes vieilles habitudes: "Alors, ces semaines-là, mettez-les à profit pour nous préparer un autre monde. C’est le moment et c’est absolument nécessaire. Il y a des rendez-vous avec l’histoire où il faut le courage de prendre de grandes décisions. A bon entendeur…"

Jusqu'où interpeller?

Contactée par des internautes suisses et français, dont une lanceuse d'alertes française, Sandra pense qu'il serait possible de mener une action d'interpellation des politiques au niveau du monde francophone. D'autre part, une initiative semblable a démarré en même temps en Flandre. Autant rassembler les forces! Une chose est sûre: en récoltant plus de 15.000 signatures en une semaine, cela permet de penser qu'il est possible de faire entendre la voix des citoyens. Et - qui sait? - peut-être seront-ils entendus à tous les niveaux de pouvoirs, de la commune à l'Europe, voire plus encore! En effet, chaque niveau a ses compétences et travailler main dans la main est essentiel.

Les initiateurs de cette carte blanche insistent - c'est une problématique citoyenne: "Il s’agit d’une demande a-partisane, et a-dogmatique. Une réflexion simple et basée sur le bon sens, car pour résister, nous avons aussi besoin d’espérer. Et cet espoir ne réside pas en un retour vers l’état préexistant de nos sociétés, mais dans celui d’un saut de paradigme que tellement de philosophes, économistes, écologues, sociologues, appellent de leurs vœux depuis des années. La crise sanitaire sera difficile à gérer, mais elle devra l’être au même titre que les crises sociales et environnementales."

Le souhait est d'éviter les extrémismes. C'et évidemment difficile à contrôler sur les listes mais Sandra compte sur la force du réseau pour déceler ceux qui voudraient récupérer le projet. Elle se réjouit déjà qu'il n'y ait pas eu de commentaires extrêmes jusqu'à présent: "les gens sont d'ailleurs plutôt positifs et constructifs" , conclut-elle.

Ce projet met en valeur les aspirations légitimes à construire un monde viable pour tous, où chacun peut s'épanouir sans priver les autres. Saisir l'opportunité de cette crise est sans doute une occasion unique.

Nancy GOETHALS

Pour lire cette carte blanche dans son intégralité cliquez ici

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