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Les Juifs ont vécu la fête de Pessah début avril, les musulmans sont entrés vendredi dernier dans le mois de Ramadan. Comment vivent-ils ces temps de fête et de prière malgré les mesures restrictives de confinement?
A chaque nouvelle disposition gouvernementale prise en relation avec le Covid-19, les différents secteurs de la vie quotidienne et économique doivent s’organiser. Cela a commencé le 10 mars par la mise en œuvre des mesures de distanciation sociale et l’interdiction des grands rassemblements. Une semaine plus tard, la première ministre annonçait le début du confinement qui a été prolongé fin mars et encore le 15 avril. Parmi les décideurs qui doivent s’adapter, les institutions religieuses et leurs milliers de membres sont concernés.
Les mesures prises pour lutter contre la propagation du nouveau coronavirus ont d’abord un impact sur la vie communautaire en elle-même. Comme ce fut le cas pour les chrétiens dont les églises et temples ont restreint l’accès pour des raisons sanitaires, les juifs et les musulmans ont choisi de fermer leurs lieux de culte respectifs. Le téléphone et les moyens de communications modernes permettent de maintenir un lien avec les fidèles. Le Grand rabbin de Bruxelles concède: « Il manque bien sûr, ce contact humain, direct qui enrichit la relation. Mais, c’est mieux que rien. » Pour la communauté juive, le sentiment d’isolement est encore renforcé par le fait que lors du Sabbat, jour du repos hebdomadaire, l’usage des technologies leur est interdit. « Dès lors, toute communication téléphonique ou web est interrompue », confirme le grand rabbin. Les croyants rivalisent d’inventivité pour maintenir un contact social – en toute sécurité – pour la prière. Ainsi, le rabbin Albert Guigui raconte qu’à Anvers où les maisons habitées par des juifs sont assez proches les unes des autres, il n’est pas rare que les chants et prières se répandent d’un balcon à l’autre, ou d’une fenêtre à la voisine.
L’Exécutif des musulmans de Belgique a pris très vite, après la première communication officielle de Sophie Wilmès, la décision de fermer les grandes mosquées du Royaume. Les musulmans étaient donc invités à pratiquer leurs cinq prières quotidiennes à domicile, ou dans un environnement restreint. Le communiqué de presse de l’Exécutif, daté du 11 mars, justifiait cette mesure par une parole du prophète Mahomet: « Si vous apprenez qu’il y a une épidémie à un endroit, alors ne vous y rendez pas. Et si vous vous trouvez dans un endroit frappé par une épidémie, ne la quittez pas. » La prière à domicile ne suffit pas. L’instance coordinatrice de l’islam a réfléchi à la nécessité de mettre en place des conférences vidéo, comme autant de prêches diffusés à une communauté large, pour « permettre de continuer à vivre leur spiritualité dans la sérénité malgré le contexte particulier et difficile que nous vivons actuellement ». Pour tenter de contenir le risque de discours trop radicaux comme il en circule sur la toile, l’exécutif des musulmans recommande de ne se fier qu’aux enregistrements diffusés par les canaux officiels.
Au sein de la famille
Dans les trois religions monothéistes, cette période de confinement coïncide avec un temps fort de l’année religieuse. Pour les juifs, la fête de Pessah s’est déroulée du 8 au 16 avril. Pendant ces jours de fête, les familles se retrouvent habituellement pour célébrer le Seder, un repas de commémoration de la sortie d’Egypte. Il était difficile de respecter le rituel qui veut que le plus jeune enfant pose quatre questions au plus âgé de l’assemblée, puisque dans de nombreuses familles, les enfants n’étaient pas réunis avec les grands-parents. Thomas Gergely, directeur de l’institut d’études du judaïsme à l’ULB, concède: « Les maîtres du Talmud préconisent si on est seul pour fêter le Seder, on se pose à soi-même la question: « En quoi cette nuit est-elle différente des autres? »
Après la Pessah, après Pâques, c’était au tour des musulmans d’entrer dans le mois du Ramadan le 24 avril. Ce temps de jeûne et de prière se déroule (au moins en partie) sous l’emprise des mesures restrictives de confinement. L’Exécutif des musulmans de Belgique invite dès lors les pratiquants à effectuer la prière de Tarawih chaque soir « à la maison », c’est-à-dire en comité très restreint, entre membres d’une même famille. Contrairement à l’habitude d’ouvrir sa porte aux voisins, proches et amis pour partager le repas de rupture de jeûne, les musulmans devront s’en abstenir et rester dans un cadre très privé. Par ailleurs, la question se posait d’adapter la manière de faire les courses pour ce repas du soir en fonction des consignes de distanciation sociale. L’Exécutif des musulmans de Belgique encourage les consommateurs à étaler leurs achats dans la journée, et non seulement en fin d’après-midi. « Le Ramadan étant un mois de recueillement et de spiritualité, il est en outre recommandé d’être modéré dans les achats et d’éviter le gaspillage et toute consommation excessive », précise en outre l’instance musulmane. Enfin, des mesures spécifiques sont prévues pour « les membres du personnel des hôpitaux, des homes et des entreprises de pompes funèbres » qui sont amenés à une charge de travail plus importante en cette période. Ils peuvent décaler leurs efforts de jeûne en raison de ces circonstances exceptionnelles.
La solidarité plus large
« Même si le Ramadan sera vécu de manière différente cette année, il reste le mois du partage et de la solidarité », relève cependant l’Exécutif des musulmans qui incite tous ceux qui le veulent et qui le peuvent à apporter leur aide autour d’eux. Parmi les idées émises sur les réseaux sociaux, certaines encouragent à préparer le repas de rupture de jeûne dans les mêmes quantités que les autres années, puis à réserver les surplus non consommés pour les faire porter à des familles dans le besoin. Les personnes volontaires sont aussi invitées à prendre le temps de téléphoner, de parler ou d’écrire à leurs voisins isolés ou âgés.
Dans les organisations juives, un même élan de solidarité se manifeste à travers ce qu’elles appellent une cellule de crise. Derrière un numéro de téléphone, le 02 319 82 51, l’appelant peut trouver une oreille pour écouter et de l’aide si nécessaire. Le Grand rabbin explique: « Cette cellule de crise est mise en place chaque fois que quelque chose de grave se produit dans notre communauté. Par exemple, les attentats au musée juif de Bruxelles… » Ce service ouvert à tous jusqu’à la fin du confinement propose de l’aide pour faire les courses, ou la livraison de repas à domicile par un traiteur spécialisé et bien d’autres services.
Les différentes traditions religieuses encouragent à vivre ce temps de confinement « dans le recueillement et l’introspection et en nous éloignant des aspects matériels », comme le demande l’Exécutif des musulmans. Les difficultés sont rencontrées de manière similaire par les juifs, les chrétiens et les musulmans. Le dialogue avec les personnes qui ont d’autres convictions religieuses et philosophiques peut se révéler approprié. Pour ceux qui le souhaitent, par exemple, une carte de solidarité avec les musulmans qui vivent le Ramadan est disponible auprès d’El Kalima. Cette carte dont le texte est écrit en sept langues (français, néerlandais, allemand, espagnol, anglais, turc et arabe) peut servir de pont entre les croyants de ces deux traditions chrétienne et musulmane. Puisqu’il ne sera pas possible de partager un repas au sens large, une simple carte apportera joie et réconfort.
Anne-Françoise de BEAUDRAP
Commande de la carte au prix de 0,60 euro/pièce (sans frais d’envoi) par mail: info@elkalima.be ou par tél. au 02 511 82 17.