
Closeup view of senior man talking with grandchildren via video chat at home
Il y a la crise sanitaire. Puis la crise économique. S’exprimera, peut-être moins visible, la crise psychologique et sociale. Les psychologues montent au créneau. Un fameux chantier s’ouvre à eux, tous azimuts.
Les témoignages se ressemblent, brutaux. Le confinement, imposé mais globalement accepté, déploie ses dérives conscientes ou beaucoup moins. « J’imagine, craint Charlotte, que chez nous, cet isolement complémentaire entraîne autant de dépressions et de suicides, autant de morts finalement que le virus proprement dit. »
« Chez nous »… Au titre de neuro-psychologue, Charlotte travaille dans une maison de retraite. Elle y rencontre deux catégories de résidents, ceux – rares – qui « restent très bien sur le plan cognitif ». Ils ont, selon l’expression consacrée, « toute leur tête », s’expriment, lisent, comprennent, apprennent encore, replacent les éléments dans leur contexte. Ils acceptent, sachant pertinemment qu’ils ont amorcé la dernière ligne droite.
« Certes, analyse la neuro-psy, ces résidents se savent relativement enfermés pour leur bien. Souvent, ils admettent qu’ils s’imaginent très mal retourner là où ils ont vécu. Mais ils se sentent désormais davantage encore en prison. Nous leur rappelons que la prison protège la société, mais que la maison de retraite les protège eux-mêmes. De fait, leur vie aujourd’hui est un confinement complémentaire dans le confinement. Beaucoup pleurent, plus encore ceux qui recevaient de nombreuses visites. »
Appartenir à la société
L’accompagnement relève du tour de force lorsqu’il s’adresse aux personnes âgées qui connaissent des problèmes cognitifs, comme les déments. « Ceux-ci n’ont plus de repères, ne savent plus quel jour il est, notamment parce qu’ils n’ont plus de visite. Ils imaginent alors des complots ourdis pour les éloigner de leurs proches, ou qu’on ne les aime plus voire que l’on veut se débarrasser d’eux. »
« Les pensionnaires n’ont plus aucune vue sur le monde extérieur, tandis qu’une visite change tout. Elle apporte de la joie, mais elle matérialise aussi le point d’attache avec l’extérieur. Depuis le confinement, les résidents perdent l’impression d’appartenir à la société. »
Chacun vit mal le calme régnant dans le salon qui regroupait souvent de trente à cinquante visiteurs et pensionnaires. « Le moindre sentiment est accentué. L’angoisse monte et se transmet. Ils sont là à se regarder en chiens de faïence. Ils ne vont plus au jardin où les promenaient les proches. Il est très difficile de leur expliquer la situation réelle, analyse Charlotte. D’autant qu’ils oublient à la minute ce qu’on vient de leur dire. »
Et l’agressivité croît. Des coups se perdent parfois, notamment dans les espaces protégés. « Heureusement que Skype existe. Cela permet de leur rendre le confinement plus acceptable. Nos résidents voient leurs proches, leur parlent, reçoivent des nouvelles. » A l’instar de la visite, la technologie ‘son et image’ apporte la joie. « Et l’aspect nouveauté les amuse », constate la psychologue.
Angoisse à la maison
Lui, le confinement ne lui va pas du tout comme un gant. Pourtant, Léo* ne vit pas seul mais avec sa maman, multi-convalescente. La vulnérabilité de sa mère participe plus encore à sa propre angoisse. Au premier soir du confinement, ce quadra était déjà dans le trente-sixième dessous. « J’ai appelé un de mes médecins qui me rabâche d’habitude que je dois avoir un maximum d’activités sociales. L’Etat sacrifie les gens comme moi. Je dois déjà doubler la médication. Ma dépression revient en force avec les idées noires. Je commençais à m’en sortir et, là, je replonge » dans un spleen qui, naguère, l’a poussé à plus d’une tentative de suicide.
En guise de fond d’écran de son ordinateur, Léo a installé l’article 20 de la déclaration des droits de l’Homme, celui qui fait référence à la liberté de réunion et d’association. « J’entre donc en résistance, ose-t-il. Pour sauver ma peau. Je dis ‘merde’ à l’Etat! Je ne vais pas continuer à vivre dans cette psychose. Je vais aller à l’encontre des recommandations qui m’envoient au peloton. Au fond, mieux vaut se sacrifier soi-même, et ça risque d’arriver. Les Pays-Bas ont une autre stratégie face au coronavirus: pas de confinement mais plutôt une immunité de groupe. Chez nous, ce qu’ils n’auront pas en morts du virus, ils l’auront par l’isolement et par les émeutes. L’ Etat doit trouver des solutions pour les personnes dans mon cas. »
Pourtant, les institutions se coupent en quatre pour éviter des drames. Ainsi, les mutuelles disposent de numéros verts à l’écoute de patients en grande difficulté. Des psychologues sont là pour apaiser, orienter, conseiller. L’individu bien sûr, mais aussi le groupe, la famille, les milieux professionnels. Pour aider les confinés, les non-confinés, les « doubles confinés ».
La fédération belge des psychologues rappelle à ses membres qu’ils ont aussi pour tâche « d’aider en termes de communication et de changement de comportement, d’apporter leur soutien aux personnes touchées par la peur et la quarantaine tout en assurant la continuité des soins » (par la télé-consultation). D’autant que « l’anxiété au sein de la population va augmenter », attisée encore par les ‘fake news’.
De son côté Fanny Weytens, docteur en psychologie, a ouvert la plate-forme « psy for med » par laquelle des collègues, à titre bénévole, ouvre des consultations à l’adresse du corps médical et des soignants soumis à la colossale pression que l’on sait.
Entre-temps, Léo a évolué dans son attitude. « Durant mes promenades, je remarque des groupes de voitures. Beaucoup se réunissent encore chez les uns et les autres. C’est incivique, irresponsable, criminel. Ces pseudos citoyens se comportent comme des collaborateurs de l’ennemi – le Covid19. Ce sont des ennemis de la nation. »
Michel PETIT
*Prénom d’emprunt