Pour nous sensibiliser à la question de l’aide alimentaire, Vivre Ensemble a opté pour un moyen de communication peu banal : une conférence gesticulée. Pas vraiment une conférence, pas vraiment du théâtre. On rit, on participe, on est abasourdi par les chiffres, on s’indigne et on se pose des questions…
Depuis de très nombreuses années, Vivre Ensemble lutte de toutes ses forces contre l’exclusion sociale. En menant des campagnes pour récolter des fonds, en soutenant des dizaines de projets, en sensibilisant, en informant. Et donc aussi en analysant les multiples phénomènes qui conduisent à ces situations d’exclusion. Se nourrir est évidemment l’un de nos besoins les plus vitaux. Mais quand les portefeuilles sont vides bien avant la fin du mois, trouver de quoi manger devient une bataille. Et parfois, il faut se tourner vers l’aide alimentaire pour survivre.
La faim ne touche pas que les pays dits « pauvres » ou en voie de développement. Chez nous aussi, des milliers de personnes poussent les portes des associations qui distribuent des colis, des restaurants qui offrent des repas ou des épiceries sociales. Une aide indispensable pour toutes ces familles. Mais une aide qui entraîne aussi un tas de questions. Pourquoi cette injustice ? Quelle place tient la spéculation ? Dans quelle mesure ces aides servent le « système » ? Et le gaspillage alimentaire ?
« Faim de vie »
C’est le titre de la conférence gesticulée choisie par Vivre Ensemble et plusieurs associations partenaires pour alimenter le débat. Une soixantaine de personnes avaient rejoint la salle du « Théâtre de rue » de Cuesmes, ce mardi 11 février 2020. Des animateurs du monde associatif, mais pas seulement. On pouvait également croiser de nombreux bénévoles ou jeunes stagiaires d’équipes sociales, des restos du cœur, d’une maison culturelle, de CPAS ou encore un diacre venu de l’UP de Chimay-Momignies et quelques bénéficiaires de cette fameuse aide alimentaire.
La conférence, qui tourne depuis quelques mois seulement, est un outil original créé par Brigitte Grisar (qui travaille pour la Fédération des services sociaux) et Jacques Esnault (membre du « Collectif 1984 », troupe de théâtre-action). Elle nous invite à bousculer nos idées sur l’aide alimentaire. En nous partageant des connaissances théoriques, mais en restant bien ancrée dans le réel et le quotidien des personnes victimes de la faim.
500 000 personnes touchées en Belgique !
« Quand j’ai commencé à travailler dans le social, j’étais pleine d’enthousiasme, j’allais aider des gens, sauver le monde », commence Brigitte Grisar. « Puis j’ai découvert la précarité, les gens qui meurent dans la rue, qui se privent pour nourrir leurs enfants ou qui mangent un jour sur deux. » Brigitte la « conférencière » se transforme alors en « Mimosa », une femme insouciante qui aime boire du vin d’Italie (ah, les migrants, quels migrants ?), grignoter des olives grecques (la crise, quelle crise ?), du camembert de l’Hexagone (ohhhh les gilets jaunes…) ou du houmous du Liban (oui, oui, il y a des guerres…). Parce que là où nous voyons des plages, des moments de détente, du soleil, de l’exotisme, il y a aussi de la pauvreté, des drames, des souffrances.
Au détour des bons mots ou des rires, on découvre qu’un demi-million de personnes ont recours à l’aide alimentaire. Chez nous, aujourd’hui. Près de 800 organisations œuvrent en Wallonie pour récolter, distribuer, accompagner cette horde de gens qui ne mangent pas tous les jours à leur faim. On apprend que les banques, les multinationales spéculent sur des denrées alimentaires. « La faim est rentable ». Rentable pour certains, fatale pour d’autres. Pour ceux qui meurent de faim, ou pour ceux qui cultivent la terre dans des conditions toujours plus précaires : « En France et en Belgique, un agriculteur se suicide tous les deux jours ».
Il y a près de dix ans, le sociologue suisse Jean Ziegler, spécialiste de l’alimentation, dénonçait : « C’est LE scandale. Un meurtre collectif. Selon le rapport sur l’insécurité alimentaire dans le monde de la FAO (Food and Agriculture Organization), l’année dernière, toutes les cinq secondes, un enfant de moins de 10 ans est mort de faim ; 37 000 personnes par jour. »
Renato Pinto (Vivre Ensemble), la conférencière Brigitte Grisar,
Bruno Di Pasquale (Vivre Ensemble) et Jacques Esnault, co-auteur de « Faim de vie ».
Une soupape de sécurité
La conférencière remonte ensuite le temps pour examiner de plus près le phénomène de l’aide alimentaire. Sous les pharaons, dans l’empire romain, au cours du moyen-âge chrétien, avec le milieu caritatif naissant lors de l’industrialisation du 19e siècle ou les Restos du cœur de nos jours : l’aide alimentaire a toujours existé. « Depuis que les gens ont faim, les puissants organisent une certaine aide alimentaire, c’est une soupape de sécurité. »
Cette aide aujourd’hui relance le débat. Il s’agit d’un dépannage souvent insuffisant, qui ne sort pas les gens de leur précarité et qui a une durée limitée. Elle est assurée à 70% par des bénévoles. Qu’en est-il de la qualité des aliments distribués ? Bien manger est-il un luxe ? Ce qui est sûr, c’est que « personne ne choisit d’avoir faim, d’être dans la file pour recevoir des colis… »