La chronique de Charles Delhez – Se réconcilier avec l’histoire chrétienne


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La chronique de Charles Delhez – Se réconcilier avec l’histoire chrétienne
Par Charles Delhez
Chroniqueur
Publié le - Modifié le
3 min

Les religions sont constamment sur le banc des accusés. Les chrétiens eux-mêmes n’osent plus parler de leur Eglise sans en rappeler les méfaits. Il ne faudrait pas paraître naïf ou prosélyte! Et c’est à l’histoire que l’on fait appel pour illustrer nos jugements péremptoires, une histoire trop souvent juste bonne pour le café du Commerce.
L’histoire cependant peut aussi être sujette à caution. Chaque époque la réécrit en fonction des combats du moment. Ainsi, la légende noire de l’Inquisition est-elle née au XIXe siècle anticlérical. On parlait de 300.000 morts en Espagne, en trois siècles. Quand on rouvre sérieusement le dossier, on arrive à chiffres bien plus modestes, de l’ordre de 1.250. Les condamnations à mort en effet n’étaient que rarement exécutées. On se contentait de brûler les condamnés en effigie (1).

Les combats d’aujourd’hui
On ne peut être éternellement les contemporains de l’Inquisition ou des croisades. A un moment donné, il y a prescription. Le passé doit lâcher prise pour libérer le futur. Nous sommes les citoyens du monde d’aujourd’hui, désireux chacun, avec nos ressources propres, de dessiner ensemble, par-delà les frontières idéologiques, un avenir favorable à l’homme. Sans cesse revenir sur des accusations partiales, c’est oublier que ce qu’on reproche à une communauté donnée est en fait une tare de notre humanité tout entière. Ce n’est pas la religion qui dérape, mais l’homme, même quand il est religieux. Les croyants n’ont pas l’exclusivité la violence.
L’histoire ne se divise pas entre nations pécheresses et continents angéliques! Si l’on devait réduire à leur passé les pays ou les institutions, qui trouverait grâce à nos yeux si purs? L’Eglise a ses Théodose et ses Borgia; la France, ses Louis XIV et ses Napoléon; l’Europe, ses Staline et ses Hitler; l’Amérique précolombiennes, ses sacrifices humains et ses guerres tribales; l’islam, ses Ottomans et ses tours jumelles; tout cela dit sans nuances et sans être exhaustif, hélas. "Toute l’histoire de l’humanité est, en un sens, l’histoire d’un crime contre l’humanité", n’hésite pas à écrire Pascal Bruckner (2).
Compter les points est stérile. Sont-ce les croisades ou la Révolution française, Staline ou Napoléon qui ont fait le plus de morts? L’histoire n’a pas pour mission de régler nos comptes. Dans les reproches adressés aux chrétiens, on revient toujours sur les bavures, du passé et du présent, certes réelles, mais souvent en étroite connivence avec la société d’alors ou d’aujourd’hui. Il faut remettre en contexte, même si nous n’approuvons pas ce contexte. L’Eglise n’est pas parfaite, mais pas non plus la grande prostituée de l’histoire. Il faut garder l’équilibre entre la légende noire de ses dérapages et la légende dorée des saints. Ou, plus exactement, il faut se garder de toute légende.

Une Eglise infidèle?
L’Eglise a-t-elle été infidèle à l’Evangile? Bien sûr, et elle le sera toujours. Qui n’a jamais manqué son propre idéal et fait preuve d’incohérence flagrante? Chaque époque a fait ce qu’elle a pu. Faisons de même! Et ne jugeons pas l’histoire, elle nous jugerait un jour. La parabole de l’ivraie et du bon grain s’applique à elle aussi. Ceux qui sont les mieux qualifiés pour critiquer l’Eglise, remarquait Bernanos, ce sont les saints. Or, ce sont précisément ceux qui ne s’en plaignent jamais!
Heureusement, et c’est une épine hors du pied, la religion n’est plus chez nous un instrument au service de la politique. Les derniers papes ont souvent été en porte-à-faux avec les guerres de ce temps, les murs entre les peuples et les politiques migratoires, les empires financiers. L’Eglise se retrouve davantage à la place des prophètes qui interpellent le pouvoir. Comme ce Jésus dont elle se réclame.

Charles Delhez

(1) "L’Eglise en procès" (Tallandier 2019), rédigé par une équipe d’historiens sous la direction de Jean Sévillia, permettra de nuancer nos jugements historiques.
(2) Voir "La tyrannie de la pénitence. Essai sur le masochisme occidental" (Grasset).

Catégorie : Chroniques

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