La chronique de Sébastien Belleflamme – Migrants : un gilet, une croix et un scandale ?


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La chronique de Sébastien Belleflamme – Migrants : un gilet, une croix et un scandale ?
Par Sébastien Belleflamme
Chroniqueur
Publié le - Modifié le
3 min

Le pape François a inauguré au Vatican un crucifix sur lequel figure un gilet de sauvetage, symbole de la mort de nombreux migrants en Méditerranée. L’incompréhension ou la colère de certains catholiques, qui s’opposent parfois à l’engagement de l’Eglise auprès des migrants, ne s’est pas fait attendre sur les réseaux sociaux. Selon eux, ce gilet dénaturerait la Croix du Christ! Sans débattre ici des complexes enjeux migratoires, il me semble qu’ils se méprennent gravement sur la signification profonde de la Croix. Pour le comprendre, il faut accepter de dépasser ses peurs et ses préjugés.
Selon les chiffres officiels de l’ONU, les migrants sont plus de 19.000 à avoir perdu la vie en mer depuis 2014. Dans la symbolique des évangiles, la mer est ce lieu qui épouvante les hommes, mais le Christ marche sur celle-ci sans risquer de se noyer. Il nous invite à ne pas avoir peur des flots houleux de la vie et à ne pas craindre la mort. Sa Parole appelle à la foi et à la délivrance de chaque être humain. La logique d’exclusion des plus vulnérables et des laissés-pour-compte est renversée. Jésus extirpe leur prétendue impureté ou indignité divine, les fait émerger des abysses du mépris et de l’indifférence et gagner le rivage d’une vie digne de respect. L’attitude du Christ est annonciatrice de la Résurrection, passage de la mort à la vie. Personne ne prétend que les défis liés aux migrations sont faciles à relever, mais nous sommes tous appelés à passer sur l’autre rive, à quitter nos fausses sécurités et nos replis égoïstes. Confrontés à des tempêtes ou des vents violents, il est tentant de rebrousser chemin alors que nous avons une barque à partager pour assurer la traversée de tous. Notre gilet de salut est à revêtir, celui de l’homme nouveau, du Christ, de l’amour. Il n’y a plus ni homme libre ni esclave dit Paul dans sa lettre aux Colossiens: "Revêtez des sentiments de compassion, de bienveillance, d’humilité, de douceur, de patience (…) Revêtez l’amour: c’est le lien parfait." (Col 3, 12. 14). Ce gilet de sauvetage ne peut toutefois rester une image d’Épinal, il en va de la vie de milliers d’êtres humains.
Il y a quatre ans, je me suis rendu à quelques reprises dans la fameuse Jungle de Calais et dans le camp du Basroch, près de Dunkerque. Des milliers d’hommes, mais aussi de femmes et de petits enfants, souhaitant désespérément rejoindre l’Angleterre y étaient cantonnés. Ils m’ont fait prendre conscience de l’impérieuse exigence du Christ: "J’étais un étranger et vous m’avez accueilli." Soudanais, Kurdes, Afghans, Syriens… J’étais chamboulé par la vision de cette file interminable de migrants attendant un bol de soupe, et particulièrement par leurs visages tristes, accablés, fatigués et tourmentés. Cela me semblait totalement irréel. Malgré mon gros anorak, je n’ai jamais eu aussi froid de toute ma vie. Au bidonville du Basroch, les tentes de migrants s’entassaient les unes sur les autres au milieu des déchets et d’une boue qui envahissaient tout. On n’y aurait pas laissé patauger un chien. De toute part, l’urgence humanitaire était criante et affolante! La parole du Christ "J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger; j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire (…), nu et vous m’avez vêtu; malade et vous m’avez visité; en prison et vous êtres venus jusqu’à moi" (Mtt 25, 35-36) ne peut trouver en ces circonstances qu’un écho retentissant et enjoignant à agir concrètement! De toute l’Europe, des hommes et des femmes de convictions diverses sont venus à Calais construire des cabanes, édifier une école, organiser la cuisine, installer des douches, permettre un suivi médical, social, juridique… tout cela dans la précarité des dunes de la Mer du Nord! Ne nous y trompons pas, le seul et insupportable scandale est que des êtres humains soient réduits à survivre. Cette croix est le symbole de vies tragiquement sacrifiées et de toutes celles qui ont été ou peuvent encore être sauvées.

Catégorie : Chroniques

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