Ils sont jeunes et ont pour point commun d’avoir eu une vie trop brève. Ils sont surtout des figures que l’Église veut donner en modèle au monde. Parce qu’ils nous montrent que la sainteté est pour tous. Dimanche inaugure une nouvelle série sur ces figures du christianisme avec Chiara Luce Badano.
Dieu sait combien Chiara était attendue sur terre! Ses parents, qui habitaient Sassello, dans le Piémont, étaient mariés depuis onze ans quand ils purent enfin la tenir dans leur bras. C’était leur premier enfant. L’éducation qu’ils lui donnèrent fut chrétienne, mais la jeune fille avait des réparties toutes surprenantes. Ainsi, lors de sa première communion, elle reçut comme cadeau un exemplaire des Evangiles et voilà que la fillette s’exclama, bien décidée: « De même qu’il est facile pour moi d’apprendre l’alphabet, je dois aussi apprendre à vivre l’Evangile! » Cette ferme résolution reflétait ses capacités intellectuelles et annonçait ses prochaines fréquentations.
Elle semble avoir eu de bonnes dispositions pour les études au collège. Mais elle avait adopté une façon de vivre qui dénotait au milieu de ses compagnes. Au lycée, elles l’appelaient la « sainte-nitouche ». Elle avait en effet assez vite affirmé un certain programme de vie. Plutôt que de parler de Jésus autour d’elle, elle préférait le donner aux autres par sa manière de se comporter.
Membre des Focolari
Cela correspondait bien au mouvement des Focolari qu’elle avait découvert en 1980, alors qu’elle n’avait que neuf ans. Ce mouvement avait été créé en Italie pendant la guerre. Chiara Lubich avait alors cherché à reconstruire une vie sociale commune dans sa ville de Trente détruite par les bombardements alliés. Elle avait voulu offrir à tous les chrétiens et à tous les croyants la possibilité de vivre la fraternité dans l’Eglise, la famille et la société au-delà des différences sociales de l’épouvantable après-guerre. Les paroles qu’elle méditait surtout étaient celles du Christ: « Que tous soient un » (Jn 17, 21), « Aimez-vous les uns les autres » (Jn 13, 34) et « Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux » (Mt 18, 20). La fondatrice insistait surtout sur la nécessité de vivre l’Evangile dans la vie de tous les jours. Un aspect de cette spiritualité avait dû nourrir particulièrement la jeune Chiara: c’était la méditation du Christ abandonné seul sur la croix.
C’est en effet à dix-sept ans qu’elle est frappée par la maladie. Au cours d’une partie de tennis, elle est prise de violentes douleurs à l’épaule. La douleur devenant persistante, elle subit de nombreux examens et le verdict tombe: un sarcome ostéogénique, une forme rare et très douloureuse de cancer des os. Alors commence le long chemin de croix des opérations chirurgicales et des chimiothérapies. Chiara refuse cependant de recevoir de la morphine pour la soulager de la souffrance: elle voulait rester lucide et elle disait qu’elle voulait ainsi réaliser la seule chose qu’elle pouvait encore faire: partager le plus possible les souffrances que le Christ lui-même avait endurées sur la croix. Elle rejoignait ainsi la spiritualité d’un des premiers martyrs, Ignace d’Antioche qui voulait imiter le Christ non seulement dans sa vie, mais aussi dans sa mort brutale et violente.
La notion du temps prit pour elle une intensité toute nouvelle. Sans doute pressée par le peu de temps qu’il lui restait, elle regrettait qu’on le gaspille. Nous sommes souvent plongés dans le souvenir amer de nos regrets ou dans l’angoisse d’un futur incontrôlable.
Donner du sens aux choses
Pour elle, l’essentiel était de vivre l’instant présent dans toute son épaisseur. Bien plus, elle trouvait qu’il fallait donner du sens aux choses que l’on fait au moment même. Cela peut paraître un peu étrange pour une jeune fille rongée par la souffrance. Elle aurait pu rêver de moments d’apaisement ou de rémission. Non, elle préférait vivre ces moments de souffrance dans toute leur épaisseur, en les vivant en union avec le Christ agonisant sur la croix.
Cette méditation ne la poussait pas vers un repli sur soi, mais sur une ouverture à la communauté humaine. Elle était convaincue que tout ce que l’on faisait avait déjà une dimension communautaire, que ce soit « l’ouvrier qui visse un écrou ou le paysan qui sème son champ », chacun faisait déjà quelque chose pour les autres.
Son état de santé ne l’empêchait pas de rencontrer des personnes, entre autre un ingénieur qui vivait au Bénin. Il y travaillait dans une mission pour les enfants. Chiara lui offrit ses économies. Elle fabriqua même des petits objets qu’elle vendait pour cette mission en Afrique.
Lucide, elle a préparé ses propres funérailles. Elle souhaitait qu’elles soient célébrées sous la forme d’épousailles. Elle-même serait vêtue comme une jeune épousée, toute de blanc vêtue.
La jeune Chiara s’est éteinte le 7 octobre 1990, à 18 ans. Une grande foule était présente à ses funérailles.
Neuf ans plus tard, le 11 juin 1999, le diocèse ouvrait son procès en canonisation. Le 3 juillet 2008, le pape Benoît XVI l’a proclamé vénérable, et le 25 septembre 2010 elle est déclarée bienheureuse au sanctuaire du Notre-Dame du Divin Amour, lieu de pèlerinage populaire à Rome. Elle est célébrée le 29 octobre.
Philippe HENNE