La chronique de Sébastien Belleflamme – Chuchoter et changer le monde


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La chronique de Sébastien Belleflamme – Chuchoter et changer le monde
Par Sébastien Belleflamme
Chroniqueur
Publié le - Modifié le
3 min

Nous voilà engagés dans une nouvelle année! Tant de choses seront vécues et tant d’émotions seront éprouvées ! Notre foisonnante humanité ne manquera pas de s’activer, de se mobiliser et de s’exprimer de façon diverse et variée. Quoi de plus vital? L’humain avance avec la marche du monde! Il n’empêche que l’humain aura aussi besoin de se mettre en veille.
Il y a dix ans, j’ai expérimenté le Grand silence. Pendant vingt et un jours, j’ai vécu dans une cellule d’un ancien monastère de chartreux. Quelques laïcs y accueillaient des retraitants sous l’autorité spirituelle des chartreux. Les chartreux sont des moines contemplatifs et ermites. Ils passent l’essentiel de leur temps dans une cellule dotée d’un atelier et d’une petite chambre munie d’un poêle en fonte qu’on alimente en buches pour se chauffer. Les repas se prennent en cellule. Après l’accueil et le rappel des règles, plus question pour moi de parler. Arrivé dans ma cellule, pas vraiment confortable, j’ai d’abord ragé en moi-même. Etais-je complètement fou de m’engager dans une telle aventure? Allais-je vraiment rester trois semaines dans cette absolue solitude? Je me souviens d’avoir ri nerveusement. Puis j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps. Moi qui étais ‘accro’ au téléphone portable, j’ai ressenti un manque qui me faisait vraiment mal à l’estomac. Privé de ce dernier, j’ai réalisé combien mon lien au téléphone était viscéralement toxique. Je n’ose imaginer ce que je ressentirais aujourd’hui à l’heure du smartphone? Google toujours à portée de mains, réseaux sociaux, boîte mail… ce serait dingue! Alors, les premiers jours, je chuchotais. Il fallait que je me parle. J’ai tenu un cahier pour expurger tout ce que je pouvais. En l’espace de quelques heures, j’ai compris que j’allais devoir totalement lâcher prise et laisser le silence faire son labeur. Le silence n’a jamais été un vide, il a été une présence qui m’a accompagné et travaillé. Le silence est un redoutable maître dont nous sommes le modeste apprenti. Il nous conduit à une radicale transparence, à la vérité de ce que nous sommes. Il ouvre à un monde nouveau. Aujourd’hui, je réalise combien cette présence était patiente et bienveillante avec moi. J’ai dû apprendre à ralentir, à éprouver la réalité avec une autre façon d’être-au-monde. Jour après jour, j’ai pris le temps de laisser le temps s’envoler. Le silence extérieur est devenu un silence intérieur. J’ai oublié que je côtoyais le silence car le silence faisait corps avec moi. Rien de creux. Ce silence était prière. Ce n’était pas un silence porté sur soi, mais un mystérieux échange. Aujourd’hui, la méditation est à la mode. On découvre qu’elle est bonne pour le cerveau, qu’elle permet de gérer le stress. C’est très intéressant, mais ce n’est pas comparable à l’apprentissage d’un silence habité. Le silence n’épure pas l’âme en vain. Il lui permet de retrouver le chemin vivant de notre intime sanctuaire. Lorsque le silence est réduit à une vigilance portée sur soi-même, il mène à un cul-de-sac. Or le silence ne dépend pas que de soi, il est une immersion progressive dans une intentionnalité d’amour qui nous est adressée. Il conduit à entrapercevoir furtivement l’autre côté du voile. Il est une respiration éternelle. Si nous ne laissons pas le silence nous gagner, même à l’improviste, nous risquons d’étouffer la singulière Parole qui cherche un écho dans notre cœur. Pour nous tous, cette année encore, les défis à relever seront nombreux, à titre personnel ou collectif. Les crises sociales, politiques, environnementales feront encore beaucoup de bruits. Toutefois, aucune de celles-ci ne se résoudront sans une véritable disposition intérieure. Nos moments d’action n’exprimeront de positive clameur que s’ils se laissent d’abord inspirer par une communion silencieuse avec l’invisible. Nul ne changera le monde sans spiritualité. Prenons le temps du chuchotement…

 

Catégorie : Chroniques

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