Un demi-million. Ils et elles ont été un demi-million à se rendre au salon de l’auto – “un franc succès”, se félicitent les organisateurs. Les chiffres du tourisme international sont eux aussi en hausse: 4% de plus en 2019 par rapport à l’année précédente. Quant aux vols aériens, ils n’ont pas davantage à se plaindre: ils sont passés de trois milliards en 2013 à quatre milliards à peine quatre ans plus tard! Et ce n’est pas fini…
L’une des caractéristiques de l’être humain est qu’il est… paradoxal. C’est-à-dire qu’il est tout à fait capable de dire ou de faire quelque chose qui va à l’encontre de ce qu’il professe officiellement. Ainsi, sauf s’il est un climatosceptique avéré, le citoyen lambda est aujourd’hui d’avis qu’il faut prendre d’urgence des mesures pour limiter les dégâts en matière de pollution et de réchauffement du climat. Cela ne l’empêche pas de lorgner – et d’acheter – un SUV, véhicule qui confère sans doute, par sa position haute, un confortable sentiment de maîtrise, mais qui est également encombrant et pas forcément ascétique en matière de consommation et de rejets. Cela ne l’empêche pas non plus de multiplier les week-ends city-trips qui, via les vols low coasts, placent les capitales européennes et le pourtour méditerranéen à un jet de pierre les uns des autres.
Pas de jugement: que celui ou celle qui, volontairement et sans être victime de phobie, n’a jamais pris l’avion jette la première pierre! Que celui ou celle qui n’a jamais acheté des tomates ou un ananas en hiver en fasse autant. Il est plus facile de dire que faire, de rêver que de réaliser. Et l’écart, souvent, est grand entre nos aspirations sincères et ce que nous mettons en œuvre pour les concrétiser. Saint Paul le reconnaissait déjà: "Ma façon d’agir, je ne la comprends pas, car ce que je voudrais, cela, je ne le réalise pas; mais ce que je déteste, c’est cela que je fais”, écrivait-il dans sa lettre aux Romains. Cher Paul… Comment aurait-il pu se comprendre? La psychologie n’était pas encore passée par là. Nous n’avons même plus cette excuse, nous qui savons que nous sommes certes faits de raison et d’intelligence, mais aussi de pulsions et de désirs – ces derniers étant souvent inconscients et particulièrement puissants.
La publicité, grande prêtresse du dieu Marché, est redoutablement efficace pour nous rendre davantage perméables à nos pulsions qu’à notre raison. Elle n’hésite pas, si nécessaire, à endosser les habits de la raison pour mieux nous circonvenir: au salon de l’auto, le vert était partout! Et de vanter les voitures hybrides, électriques… Lesquelles, outre qu’elles ne sont pas forcément aussi "neutres" qu’elles voudraient le faire croire, demeurent de toute façon largement inaccessibles aux salaires de la plus grande partie de la population. Et ce n’est pas parce qu’elles sont certifiées "bio" qu’il est plus raisonnable de manger en hiver des fraises produites à l’autre bout du monde. Reconnaissons bien simplement qu’il est difficile de résister en permanence aux sirènes qui titillent nos désirs: spontanément, la vie est du côté du "oui", de l’adhésion, et non du refus et de la frustration qui l’accompagne toujours peu ou prou. L’on peut comprendre dès lors que la perspective d’un avenir où s’accumulent les renoncements n’ait pas de quoi susciter une énergie folle, surtout pour celles et ceux qui ont souvenir des "golden sixties", ces années qui ouvrirent pour toutes et tous, même les plus simples, un accès vers une vie plus facile, moins marquée par les restrictions et les manques. La cohérence, à cette époque, était simple: vous pouvez désormais consommer? Consommez donc, vous améliorerez ainsi votre quotidien et l’économie du monde en général. Votre désir vous pousse à acquérir? Acquérez donc, c’est le mieux que vous puissiez faire. C’est même bien.
Et nous voici aujourd’hui devant un défi que nous n’avons jamais pu imaginer: mortifier rudement ce désir, le soumettre aux impératifs de la raison. Quel écartèlement! Pas étonnant que les réactions aillent dans tous les sens, du discours apocalyptique au déni, en passant par les accommodements raisonnables. Les infos se multiplient, se contredisent parfois; certains scientifiques sont résolument pessimistes, d’autres conservent une forme d’optimisme quant à la possibilité de sauver les meubles de la planète. Entre incendies ravageurs et ouragans non moins destructeurs, entre abeilles qui disparaissent et moustiques malfaisants qui migrent vers nos pays, le citoyen lambda ne sait plus à quel saint se vouer. Alors oui, de temps en temps, il suit son désir, même s’il n’est pas bien raisonnable. Parce qu’il est humain, et donc paradoxal. Comme l’était la fameuse phrase de Pascal, qui rappelle que l’homme n’est ni ange ni bête; et que quand on veut faire l’un, on risque bien de devenir l’autre.
La chronique de Myriam Tonus : Faites ce que je dis, etc.
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Myriam Tonus
Chroniqueuse
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4 min
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