Depuis la mi-décembre, l'exposition Toutankhamon a pris ses quartiers dans la gare de Liège-Guillemins. Un saut dans l'histoire de plus de 3000 ans, pour (re)découvrir une civilisation égyptienne qui fascine toujours autant le grand public. Comment expliquer cette égyptophilie ? Entretien avec Dimitri Laboury, professeur à l'ULiège, commissaire scientifique de l'exposition.
" Quand nous nous sommes mis à table, raconte le professeur Dimitri Laboury, j'ai dit au président d’Europa Expo, René Schyns, que j’avais probablement le sujet qui lui fallait pour attirer du monde mais surtout, comme c’est depuis toujours l’ambition d’Europa, d’attirer ceux qui ne poussent pas spontanément les portes d’un musée ou d’une exposition. " Dimitri Laboury présente donc un projet 'clé sur porte', fruit de longues années de recherches sur Akhénaton et Toutankhamon. " Nous nous approchons du centenaire de la découverte de la tombe de Toutankhamon, qui est de loin la plus grande découverte archéologique de l’Histoire, toutes disciplines confondues, mais nous célébrerons aussi le bicentenaire du décryptage des hiéroglyphes par Champollion en 1822" ajoute le professeur liégeois.
Du fantasme à la réalité scientifique
Avec Toutankhamon, il s’agit surtout, et c’est important de le souligner, " d’une histoire scientifiquement validée. " Important à souligner car, en effet, la figure mystérieuse et désormais emblématique de Toutankhamon a fait naître tant de fantasmes, " tout et n’importe quoi ", que cette exposition représentait une occasion rêvée de remettre les pendules à l’heure. En rendant accessible au grand public l’état des connaissances actuelles dans le milieu scientifique et universitaire. Dimitri Laboury a donc voulu raconter, comme un roman, cette double histoire, celle de Carter, l’archéologue improbable, et celle de Toutankhamon, le pharaon oublié. Or, le plus extraordinaire, c’est que cette histoire à rebondissements est véridique de bout en bout, "rien n’a été inventé", insiste le chercheur. " Cet exemple montre que parfois l’Histoire dépasse le mythe et se suffit à elle-même. "
Cent ans après la découverte de la tombe de Toutankhamon et de ses trésors, que peut-on encore dire de neuf ? En fait, c’est la façon de questionner les objets qui a surtout changé, la science permet aujourd’hui d’effectuer de nouvelles analyses, l’approche est aussi pluridisciplinaire. "La paléogénétique par exemple, explique l’égyptologue, a permis de dévoiler les véritables stratégies matrimoniales développées pour renforcer les liens entre lignées royales. " C’est donc un regard différent, posé sur des matériaux anciens, qui renouvellent la recherche, ouvre de nouvelles perspectives.
Fascination intemporelle
Chaque exposition consacrée à l'Egypte des pharaons rencontre un franc succès. Comment expliquer cette fascination bien réelle pour l’Egypte antique ? Pour le professeur Laboury, les idées reçues sur l’Egypte remontent déjà à l’Antiquité. Si l’Egypte antique occupe une telle place dans l’imaginaire collectif, c’est parce qu’elle est ancrée dans les deux traditions qui fondent notre civilisation occidentale : les traditions judéo-chrétienne et classique (ou grecque). Toutes deux ont développé un discours sur l’Egypte ; dans les saintes écritures, pensons à Moïse ou Joseph ou encore à la fuite en Egypte. De leur côté, les penseurs grecs iront jusqu’à revendiquer une filiation, totalement inventée, avec la civilisation égyptienne.
Or, concrètement, " nous ne devons pas grand’chose à l’Egypte ancienne " si ce n’est cette sensation incroyable de " toucher le temps " ou comme l’aurait dit Napoléon en 1798 : " Soldats, songez que du haut de ces pyramides, quarante siècles d’histoire vous contemplent ". Et de fait, l’Egypte des pharaons voulait inscrire son nom dans l’histoire, dans la durée, dans l’éternité. Et le climat chaud et sec a permis de conserver de manière remarquable toutes ces traces archéologiques qu’il s’agisse des pyramides ou bien des papyrus ou encore des momies.
Success-story d'un parfait inconnu
L’égyptophilie s’est surtout développée au 20e siècle et notamment avec la découverte du tombeau de Toutankhamon. Mais elle a connu un regain dans les années 1960-70 avec des grandes expositions itinérantes consacrées au jeune pharaon. Une success-story inattendue et somme toute paradoxale – rappelons que Toutankhamon est mort à l’âge de 18 ans et n’a régné que 10 ans - quand on sait qu’à l’époque des fouilles effectuées par Carter, le découvreur de la tombe de Toutankhamon, le jeune roi était presque totalement inconnu des archéologues. Et cela participe aussi à la construction du mythe, avance notre expert. De l’or, un roi banni, une malédiction, tous les éléments sont présents pour alimenter la fascination autour du pharaon. Avec cette exposition, Dimitri Laboury veut pourtant dépasser ce stade en montrant au grand public l’importance des informations historiques qui ont pu être mises à jour à l'époque et livrent encore aujourd'hui de nouvelles données.
Une découverte révolutionnaire
La découverte du tombeau de Toutankhamon a surtout permis de mieux comprendre le règne de son père Akhénaton. Les dossiers documentaires retrouvés dans la tombe de son fils ont profondément changé les perspectives sur l’époque d’Akhénaton, entraînant une véritable révolution dans la vision et la connaissance de la civilisation égyptienne antique. " Ça a tout changé " affirme le professeur liégeois. Découvrir une tombe royale quasi intacte a permis d’imaginer les tombes des autres rois et de mettre la main sur des collections de documents et d’objets incroyables, nous renseignant précisément sur les coutumes, les pratiques et les événements survenus à cette période.
On sait désormais que les Egyptiens disposaient de vin blanc et rouge, ou qu’ils fabriquaient des colliers botaniques, … Une masse d’informations, surgie d’une tombe, sans aucun équivalent dans la vallée des Rois puisque celle-ci fut l’objet d’un pillage systématique, parfois commandité par les pharaons eux-mêmes pour récupérer les richesses entreposées. Une aubaine archéologique donc mais qui n’est pas totalement le fruit du hasard, comme a voulu aussi le montrer le professeur Laboury. " Il a mené une véritable enquête pour parvenir à cette extraordinaire découverte " soutient le professeur, voulant réhabiliter la figure de Carter, déconsidéré par ses confrères archéologues, probablement jaloux. Mais ne dit-on pas aussi que la chance sourit aux audacieux. Quand on connait l’histoire, on est tenté de dire que, ce jour-là, la chance était aussi du côté de Carter.
A lire également en complément, dans le Dimanche n°3 du 19 janvier 2020 en page culture, l'article consacré à l'exposition Toutankhamon "Au cœur du mystère d'un pharaon".
Sophie DELHALLE