L’idée de progrès n’a pas fait ses preuves! Les notions d’histoire et de progrès sont assez récentes. Beaucoup de civilisations croyaient en l’éternel retour si bien symbolisé par le cycle des saisons. L’âge d’or était situé dans le passé. Dans l’orbite judéo-chrétienne, l’idée d’histoire est apparue. Celle-ci se déroulait entre un commencement "à partir de rien" jusqu’à son accomplissement dans la "Jérusalem céleste". La Providence guidait son cours. Dès la Renaissance, cette Providence a été remplacée par le Progrès, avec une majuscule aussi. Au lendemain de la Révolution française, des Condorcet et Comte en ont chanté les louanges. Le XXe siècle est venu et a accumulé les progrès, au pluriel. Mais jamais, hélas, époque ne fut si cruelle. Avec le pape François, on regrettera que "l’immense progrès technologique [n’ait] pas été accompagné d’un développement de l’être humain en responsabilité, en valeurs, en conscience" (Laudato si’).
La modernité est inquiète
Et nous voici maintenant au début d’un nouveau millénaire. Notre époque croit de moins en moins au progrès. Elle prend conscience de ses conséquences collatérales possiblement négatives. Que l’on pense aux questions posées par le nucléaire, le réchauffement climatique, la bioéthique. Nous savons maintenant que les conquêtes des technosciences ne sont pas automatiquement un progrès d’humanité. Régulièrement, on pointe du doigt le côté déshumanisant des nouveaux gadgets. La modernité, de triomphante qu’elle était, est aujourd’hui inquiète. L’humanité est habitée par la conscience de la possibilité de son autodestruction. Le progrès a les poches trouées.
Vers quoi progressons-nous finalement, sinon vers le progrès lui-même, pour le plaisir de la nouveauté, la facilité de la consommation, et l’enivrement de notre grandeur? Notre fuite en avant ne serait-elle pas une peur du vide? Les progrès de la biotechnologie et le transhumanisme qui pointe son nez ne se nourriraient-ils pas du déficit de sens de nos sociétés déspiritualisées et vides de religion? Nous savons en effet de moins en moins qui nous sommes. Nous sommes privés de toute référence ultime, hormis nous-mêmes. Quel Bien – avec une majuscule – poursuivons-nous? La transcendance est en panne. Dès lors, nous cherchons notre salut dans nos propres prouesses et dans nos rêves prométhéens. Mais le progrès qui était notre moteur est devenu notre angoisse.
"La science fait de nous des dieux!"
Deux grands savants se promenaient dans la savane et se vantaient de leur puissance. "Si je rencontrais une carcasse d’animal, je pourrais la recouvrir à nouveau de chair", disait l’un; et l’autre d’ajouter: "Et moi, je lui rendrais le vie. La science fait de nous des dieux!" Un peu plus loin, ils aperçurent le squelette d’un lion. Quelques gouttes de la potion du premier sur ces os, et tous les attributs royaux réapparurent. Le second déposa de son élixir sur le front du fauve. Le roi des animaux s’ébroua un instant seulement. Trois gouttes supplémentaires firent l’affaire: l’animal se dressa sur ses quatre pattes… et dévora les deux savants!
Qu’on ne voie pas dans ce conte soufi un rejet de la science, mais une question quant à son usage, sans nier pour autant tout le bien qu’elle a permis. Ne croyons pas pour autant que le progrès technoscientifique donne sens à notre vie et que les humains du passé étaient moins humains parce que ne disposant pas encore des cette puissance technologique. Le sens de notre existence se jouera toujours ailleurs, dans la qualité de notre humanité.
Le christianisme est cette tentative pour modifier l’homme, pour le tourner vers l’avenir. Jésus voit dans l’amour du prochain, quel qu’il soit, le véritable progrès qui nous est possible chaque jour. C’est la seule manière d’aller à contre-courant des forces de mort inscrites en nous et dans la nature elle-même, comme nous le rappelle la loi d’entropie. L’Avent nous invite à revisiter cette espérance inouïe.