“Toutes les COP sont utiles”, selon François Gemenne


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“Toutes les COP sont utiles”, selon François Gemenne
Par Sophie Delhalle
Publié le - Modifié le
5 min

Invité sur le plateau de Yann Barthès, François Gemenne, spécialiste belge des questions de géopolitique de l’environnement, livre un éclairage sur les enjeux de la COP25 et relativise l'apparent immobilisme des Etats à prendre le problème climatique à bras le corps. Car, pour le chercheur, la solution viendra avant tout ... des banques.

François Gemenne est donc spécialiste des questions de géopolitique de l’environnement et enseigne ces matières à Sciences Po Paris et Grenoble et à l’Université libre de Bruxelles. Ses recherches sont essentiellement consacrées aux migrations et aux déplacements de populations liés aux changements de l’environnement, ainsi qu’aux politiques d’adaptation au changement climatique. Il a effectué de nombreuses études de terrain, notamment à La Nouvelle-Orléans (États-Unis) après l’ouragan Katrina (2005) et au Japon après la catastrophe de Fukushima (2011). Il a, en outre, participé à de nombreux projets de recherches internationaux consacrés à ces questions, notamment le projet européen EACH-FOR. Il a également coordonné le projet DEVAST, un des premiers projets internationaux consacrés à l’étude des conséquences politiques et sociales de la catastrophe de Fukushima. Notons encore qu'il est président d’Ecosphere, un think tank européen consacré aux droits de l’homme et à l’environnement.

De l'utilité des COP

A la question de savoir si cette énième COP (la 25e) est utile, François Gemenne répond de but en blanc: "Toutes les COP servent à quelque chose".

Mais il ajoute: "C'est vrai qu'on peut être un peu lassé, et se demander à quoi peuvent bien servir ces grand'messes." Il explique alors que les COP sont des endroits où l'on va coordonner l'action internationale sur le climat et "comme on a absolument besoin de cette coopération internationale sur le climat", il faut bien se réunir chaque année pour coordonner cette action. Il estime aussi que nous attendons peut-être trop de ces COP. " Chaque cop ne peut pas déboucher sur de grands accords ou de grands résultats. L'enjeu de cette COP25, c'est que tous les pays revoient à la hausse les engagements qu'ils ont pris lors de la COP 21 à Paris". Et d'avance ce chiffre affligeant, moins de 10 pays sur l'ensemble des signataires respectent les engagements pris à Paris. Il y a donc un "énorme décalage" entre l'objectif défini (2° C maximum d'augmentation de t° d'ici 2100) et ce que font les différents pays pour y parvenir. François Gemenne rappelle aussi que, "ironie suprême", les accords de Paris ne sont pas contraignants à la demande des Etats-Unis qui ont depuis quitté ces accords.

De lourdes conséquences

"Si on additionne les efforts actuels des pays, on arrive à une augmentation de 3,5 à 4° en moyenne", constate François Gemenne, précisant qu'il s'agit bien d'une moyenne, ce qui implique une augmentation plus forte dans certaines régions comme l'Espagne et le Portugal. Mais aussi une montée du niveau de la mer entre 1 à 2 mètres, qui entrainera la disparition totale de certaines îles comme les Maldives. Zones incultivables, déplacement de population (ils seraient 280 000 millions de migrants climatiques dans le futur), nouveaux conflits, tels sont les autres conséquences liées à un réchauffement climatique non contrôlé.

Ces prévisions sont valables si l'on respecte l'objectif des maximum +2°C; sinon, les impacts décrits seront encore plus exacerbés et nous courrons aussi le risque d'atteindre certains points de rupture, de basculement, sans possibilité de retour en arrière. Les scientifiques ne peuvent malheureusement pas prédire avec exactitude à quelle limite ces seuils de rupture seront franchis, ils peuvent seulement en donner une estimation, et la limite des +2° devrait déjà nous préoccuper.

Quelle solution?

Selon l'expert belge, le premier geste écolo est de retirer son argent des banques classiques qui utilisent l'épargne pour financer les énergies fossiles via des placements. En chiffre, cela correspond à 5200 milliards de dollars, à savoir 6,5 % du PIB mondial (donc de la totalité des richesses produites en une année dans le monde) qui est investi dans les énergies fossiles. L'épargne contribue en fait très fortement à l'empreinte carbone de monsieur et madame tout le monde. Pour y mettre un terme, la seule solution est de faire confiance à des banques vertes, de la nouvelle génération, qui promettent de ne pas placer votre épargne dans des produits liés aux énergies fossiles. Et de citer l'exemple de la toute nouvelle banque belge NewB. Nos petits gestes quotidiens - zéro déchet, manger local, mobilité douce - , s'ils restent importants, sont pourtant et malheureusement annihilés par cette logique de financement des énergies fossiles via notre épargne.

Bienvenue dans l'Anthropocène

François Gemenne vient de publier, aux éditions SciencesPo, un "Atlas de l'Anthropocène". Ce terme désigne la nouvelle période géologique dans laquelle nous sommes entrés. "Pendant les milliers d'années qui ont précédé, nous étions dans l'holocène, explique François Gemenne, aujourd'hui, nous avons basculé dans une nouvelle ère géologique, celle des humains". Désormais, l'empreinte de l'activité humaine est visible de manière géologique dans les couches de la Terre. Pour tenter de freiner le désastre écologique, "le changement ne se fera pas du jour au lendemain", reconnait l'expert qui affirme sans illusion qu'on ne peut éviter le crash mais seulement en limiter les dégâts. "Nous avons provoqué une transformation de la Terre, nous avons devant nous une nouvelle Terre qu'il nous faut apprendre à gouverner mais nous n'avons pas encore les cartes pour se repérer."

Jusqu'ici, l'homme a considéré la Terre (géologique) et le monde (socio-politique) comme deux réalités totalement distinctes, le second n'impactant pas la première, et pareillement pour les sciences sociales et les sciences naturelles, or c'est la même chose, souligne François Gemenne.

Faut-il tourner le dos à la croissance économique, sortir du capitalisme? demande alors Yann Barthès. Ce à quoi répond l'expert : "Dans certains pays oui, dans d'autres non." Dans les pays fortement industrialisés, aux économies matures, il faut abandonner cette obsession de la croissance mais pas dans les pays en voie de développement qui ont besoin de la croissance économique pour sortir leur population de la pauvreté. "Dans l'idéal il faut sortir du capitalisme mais on n'a pas le temps." avertit François Gemenne.

Pour autant, lui qui a, pendant 15 ans, étudié l'impact du changement climatique sur les populations, affirme en conclusion d'interview: "Je suis moins pessimiste qu'il y a un an. Parce que les jeunes sont descendus dans la rue, on sent un changement dans l'opinion, le climat est devenu une préoccupation essentielle pour les gens. Et la plupart des pays qui doivent faire des efforts radicaux sont des démocraties où "l'avis des gens compte un peu". Le bulletin de vote reste un levier très puissant d'action".

S.D.

Illustration : capture d'écran - pixabay CCO

 

 


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