Dans une carte blanche publiée dans les journaux La Libre et De Morgen, plus de 750 médecins, sages-femmes, infirmièr(e)s et psychologues, francophones et néerlandophones, de toutes spécialités, de toutes générations et de toutes confessions (parmi lesquels 68% de femmes), unissent leurs voix pour dénoncer le délitement des balises éthiques dans la proposition de loi actuellement en discussion qui vise à élargir les conditions d’accès à l’avortement.
Une proposition qui à leurs yeux brise le nécessaire équilibre entre la liberté de la femme et l’attention portée à l’enfant à naître qui se développe dans son corps.
Ce mercredi 27 novembre, une proposition de loi visant à allonger le délai légal d’avortement sera portée au vote des parlementaires de la commission justice. Elle induit 3 changements importants. Premièrement, rendre possible l’avortement jusqu’à la moitié de la grossesse, soit 4,5 mois (18 semaines de grossesse, ou 20 semaines d’aménorrhée). Ensuite, réduire le délai de réflexion de 6 jours à 48h. Enfin, remettre en question la conception juridique de l’avortement telle qu’elle a été voulue par le législateur jusqu’à présent, en le considérant comme un banal acte médical.
Un soin comme un autre ?
Dans leur tribune, les signataires expliquent qu’ils « ne peuvent se résoudre à pratiquer un avortement à un stade si avancé de la grossesse » parce qu’un tel acte les toucherait dans leur vocation de soignants. L’IVG ne peut à leurs yeux devenir un acte médical comme un autre. “Tenter de faire croire que c’est un soin de santé comme un autre, c’est d’abord et avant tout mentir aux femmes, qui ressentent dans leur corps que l’IVG les affecte durablement ». Ils s’interrogent donc sur le décalage entre le ressenti de tant de femmes et la volonté de certains parlementaires de hâter la révision de la loi sur l’avortement pour en élargir les conditions d’accès. D’après ces 750 médecins, « en l’absence de gouvernement et sans poser un diagnostic objectif sur la situation actuelle de la pratique en Belgique, il n’est guère possible de légiférer raisonnablement sur un sujet aussi sensible, et cela seulement une année après la dernière loi qui sortait l’avortement du Code Pénal« . Pour toutes ces raisons, les signataires de la tribune souhaitent marquer leur opposition, ferme et résolue, à ce projet de loi.
Carte blanche
Plus de 700 soignants – médecins, sages-femmes, infirmier(e)s – francophones et néerlandophones, de toutes spécialités et de toutes confessions ont ainsi signé une tribune publiée dans La Libre et De Morgen. Ils sont unis par leur volonté de s’opposer à la proposition de loi sur l’avortement, et estiment représenter une voie majoritaire dans le monde des soignants.
Surprise par l’ampleur et le nombre de signatures de professionnels de la santé récoltées en quelques heures le Dr Salmon déclare: “La plupart des soignants que j’ai contactés se sentaient impuissants face à ce projet de loi qui les heurte et qui est débattu loin du terrain. Une fois informés du projet de carte blanche, ils ont immédiatement manifesté leur adhésion”. Le Dr de Muylder, gynécologue abonde: “Je suis assez mal à l’aise face à la précipitation des députés de la Commission Justice qui souhaitent faire passer, en l’absence d’un gouvernement et surtout en dehors d’un vrai et large débat de société, une modification majeure de la loi sur l’avortement”.
Une grande violence
Parmi les signataires, 68% sont des femmes. Le Dr. Chantraine, gynécologue, analyse: “Ce sont avant tout les femmes qui se sont saisies de cette question. Beaucoup de témoignages des soignants font état des difficultés suite à la pratique d’un IVG. Elles témoignent que l’impact psychologique est d’autant plus grand que la grossesse est avancée”. Une gynécologue témoigne: “La possibilité de pratiquer un avortement au delà de 12 semaines rend les choses “psychologiquement et techniquement beaucoup plus difficile”. Une autre, complète: “Cet acte est d’une grande violence pour le corps de la femme”.
Le choix de la précarité
Cela est confirmé par le Dr Pirson, psychiatre, qui déclare: “Je suis confronté régulièrement à la souffrance que génère chez mes patientes cet acte tellement difficile. Je pense qu’augmenter le nombre de semaines et/ou réduire le délai d’explication et de réflexion des différentes alternatives, aggraverait encore le vécu douloureux de cette interruption (in)volontaire de grossesse”. Le Dr Chantraine insiste sur l’importance du délai de réflexion: “Après les 6 jours de réflexions, une série de patientes, qui souhaitaient demander une IVG ont gardé pour finir leur enfant et une autre série a eu le courage de donner leur enfant en adoption au lieu de l’avorter ! Il n’y a eu aucune plainte, aucun problème ne m’a été rapporté par les mères.”
Le Dr Tennstedt – ex-médecin en planning familial, déclare: “Quand une femme n’a pas décidé d’avorter à 12 semaines, c’est qu’elle est en grande situation de doute. Ce n’est pas rare que cela soit lié à des pressions familiales ou économiques”. Le rapport de la Commission nationale d’évaluation de la loi relative à l’IVG en parlait d’ailleurs en 2008 : “Le choix de l’IVG est souvent dicté par une précarité sociale, économique ou une pression culturelle. Si elles en avaient eu la possibilité, les femmes auraient mené leurs grossesses à terme”.
De nombreux médecins insistent également sur le besoin de développer et renforcer les mesures d’accompagnement psychologique et matérielles des femmes qui sont en situation de difficulté.
S.D.
*Article rédigé sur base d’un communiqué de presse
Illustrations : pixabay CCO