Faut-il se taire? Ou bien parler? Et comment? Ces semaines sont marquées par des débats bioéthiques. En Belgique, en juillet dernier, le dossier de l’IVG a été rouvert par le dépôt d’un projet de loi après l’échec parlementaire de l’an dernier. Il s’agit notamment de le dépénaliser totalement, d’étendre le délai jusqu’à dix-huit semaines et de réduire le temps de réflexion à quarante-huit heures. D’autres propositions ont alors suivi. En France, le pays est en pleine réflexion bioéthique également, particulièrement à propos de l’ouverture de la Procréation Médicalement Assistée (PMA), aux couples de femmes et aux femmes seules, mais aussi de la Gestation Pour Autrui (GPA), autrement dit les "mères porteuses".
Je n’entrerai pas dans le débat. Tel n’est pas ici mon propos. J’observe seulement qu’il est complexe et surtout clivant, tant en France qu’en Belgique. L’évolution des mentalités a été très rapide. Pour ceux qui se mettent du point de vue de l’enfant à naître, et j’en suis, prendre la parole est risqué parce que suscitant des levées de boucliers irrationnelles et agressives qu’il faut pouvoir affronter.
Une vision de l’homme
Les chrétiens sont devenus minoritaires. On le constate en comptant les pratiquants dans une église. On l’observe également quand on aborde ces questions éthiques, mais aussi anthropologiques, car elles ont trait à la vision de l’homme. Il est difficile, aujourd’hui, de conjuguer nos racines religieuses et les attentes d’une société profondément marquée par la sécularisation, celle-ci atteignant les croyants eux-mêmes. La division est de plus en plus marquée, jusqu’à l’intérieur même de l’Eglise, notamment entre les jeunes et la génération précédente.
Ce domaine est sensible. En effet, que ce soit au sujet de l’euthanasie, de l’avortement ou de la procréation, il s’agit de souffrance, celle de l’approche de la mort, de la maternité non désirée ou du désir d’enfant non exaucé. Face à celles-ci, les arguments rationnels sont de faible poids. L’Evangile lui-même ne nous invite-t-il pas à soulager les personnes et à être compatissants? Reste cependant à voir comment, et c’est à ce propos que les passions peuvent se déchaîner – d’autant que de plus en plus nombreux sont ceux qui ont été, de près ou de loin, mêlés à ces situations douloureuses. S’entame alors un dialogue de sourds, chacun écoutant l’autre avec son propre prisme, ses a priori inconscients, surtout que ces questions sont souvent liées à celle des droits de la femme, autre sujet passionnel.
Poser des questions
Hélas, ce genre de conversation peut se terminer par des mots du genre "misogynie", "extrême-droite", "Trump", "culpabilité judéo-chrétienne" à l’adresse de ceux qui ont une position appelée "pro life". Dans certains pays, cependant, ce sont les tenants de cette position qui en arrivent à des gestes de violence et d’intolérance, à des arguments qui ne respectent pas les personnes. Un sujet bien clivant, donc! Comment en parler en faisant abstraction du vécu de chacun? Le jugement moral ne peut porter que sur les actes, chacun ayant une conscience qui lui permet de discerner ce qui à ses yeux est bien et ce qui est mal. Mais le jugement sur les personnes ne nous appartient jamais. Même au tribunal, nous ne parvenons jamais qu’à une culpabilité juridique et non personnelle.
Que faire donc dans ce climat manichéen? Se taire? Hausser le ton? Argumenter? Il est toujours inutile de parler inutilement! Il y a des positions qui sont de plus en plus perçues socialement comme évidentes et aller à contre-courant n’est guère aisé. Mais si l’on se tait, la question disparaîtra et la banalisation s’installera avec les risques de fuite en avant…
Dans un discours aux responsables du monde catholique, le président Macron avait invité l’Eglise à être intempestive, mais pas injonctive. Ne pas hésiter donc à poser les questions, mais sans rien vouloir imposer. Tout sera dans le ton, et il n’est pas toujours facile de l’avoir juste.
Charles DELHEZ sj