La chronique de Sébastien Belleflamme : « Ma femme… je te tuerai »


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La chronique de Sébastien Belleflamme :  « Ma femme… je te tuerai »
Shadow hands of the woman behind the white curtain
Par Sébastien Belleflamme
Chroniqueur
Publié le - Modifié le
3 min

C’était un vendredi soir, il y a soixante-cinq ans. Denise, vingt-trois ans, sort du bureau et retrouve son époux. Il y a un an qu’ils se sont dit oui pour la vie. Ils rentrent ensemble dans leur appartement. Rapidement, c’est une nouvelle dispute. Les éclats de voix sont fréquents ces derniers mois. Jules est un homme jaloux qui a des doutes sur la conduite de sa femme et lui fait des reproches infondés. Dans sa colère, il lui lâche régulièrement qu’il la tuera, puis qu’il s’engagera dans la Légion étrangère… Ce soir, il s’exécute et la frappe. Il essaie d’abord de l’étrangler puis se sert d’un grand rasoir pour l’égorger. Il la blesse à la nuque jusqu’à atteindre ses vertèbres cervicales. Il taillade ses bras jusqu’à l’os. Il se lave les mains, prend la fuite et ferme la porte de l’appartement à clé. Denise perd une grande quantité de sang. Il y en a partout. Au point que celui-ci s’écoule sous la porte et attire l’attention des voisins. Denise se traîne sur le plancher, s’accroche tant bien que mal aux meubles et parvient à ouvrir à ceux qui veulent lui porter secours. L’homme est activement recherché par la police. Le mardi soir, son cadavre est finalement repêché par des bateliers dans le fleuve tout proche, car Jules s’est donné la mort.
Cette histoire n’est pas le fruit de mon imagination. C’est celle de cette dame de 86 ans avec qui je mange de temps en temps un ‘boulet-frites’ ou un ‘steak-béarnaise’. Cinquante ans nous séparent, je la connais depuis mon enfance. J’ai bien connu aussi René, tellement impliqué dans notre paroisse, avec qui elle a pu refaire sa vie. Un grand collectionneur, passionné de vélo et de musique, qui est décédé il y a deux ans. Denise se retrouve bien seule aujourd’hui, même si elle peut compter sur l’aide précieuse des enfants de René. Il n’y a pas un jour où Denise ne pense pas à ce qu’elle a vécu. Pas un seul matin où, dans la salle de bain, elle ne peut que revoir les cicatrices de sa chair outrageusement blessée. Alors Denise s’occupe, promène son petit chien, visite une amie. Toujours si discrète, pudique, c’est une femme intelligente, courageuse, et profondément attachante. Je l’aime comme ma grand-mère.
Denise m’a permis de raconter ce qu’elle a enduré car, dit-elle, ça fait bien longtemps. Toutefois, trop de violences pourrissent encore la vie de nombreuses femmes. La semaine dernière, saisi par des cris venus de l’extérieur, je suis intervenu au balcon de mon immeuble pour interpeller un voisin qui était très agressif avec sa compagne. Insultes et menaces fracassaient l’atmosphère. Il m’a reproché de m’en mêler. Je lui ai répondu avec vigueur que beaucoup trop de femmes meurent de l’indifférence de leurs voisins. Il n’a plus dit un mot. La députée Vanessa Matz cite des statistiques effrayantes. Tous les mois, trois femmes décèdent en Belgique à cause des violences de leur partenaire.
38.964 plaintes de violences conjugales ont été enregistrées en 2018, et 70% sont classées sans suite. Que dire du nombre de celles qui n’arrivent pas encore à sortir du silence? Pour la députée, il faut systématiser la possibilité de déposer plainte à l’hôpital, créer un système de télé-vigilance spécifique, ou encore mettre en place un dispositif électronique "anti-rapprochements" dans des conditions précises. De nombreux refuges et associations rappellent que trop de brutalités, de viols et d’incestes restent impunis. Il faut permettre à toutes les victimes de sortir de la violence sans craindre des représailles. Je pense à Denise, à cette femme de l’immeuble voisin, et à toutes celles qui ont besoin de réconfort, de respect et de compréhension pour reconstruire une vie sécurisée et épanouissante. Combien de Denise encore brutalisées aujourd’hui ? Combien de Denise contraintes au silence ? Combien de Denise captives de la peur ? Le monde associatif et la Justice manquent de vrais moyens financiers. Il y a pourtant urgence pour notre société.

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Catégorie : Chroniques

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