La chronique de Myriam Tonus : “Pour qui cet e-Rosaire ?”


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La chronique de Myriam Tonus : “Pour qui cet e-Rosaire ?”
Par La rédaction
Publié le - Modifié le
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Le site Cathobel l’avait déjà évoqué récemment, mais sans doute l’information était-elle arrivée un mauvais jour de surcharge où le cerveau affiche "complet". C’est par une application de messagerie instantanée que je reçois un lien vers un journal canadien. Pas de titre, l’énigme est entière. Je clique, et voici que se déroule un article présentant l’e-Rosaire, ce produit hi-tech promu par le réseau mondial de prière soutenu par le pape. Les pièces du puzzle se mettent en place: la présentation sur Cathobel, une bribe d’émission humoristique évoquant un hacker qui avait piraté un chapelet électronique et puis aujourd’hui cet article détaillant l’utilisation de ce qu’il faut bien appeler un gadget même pas pieux. Je savais déjà qu’il était possible de se confesser et d’obtenir l’absolution sur Internet, je connaissais le compteur d’Ave Maria (utilisable aussi par les musulmans pour d’autres prières!) et demeurais perplexe devant les annonces de "coaches spirituels" grassement rémunérés prêts à vous mettre l’âme au top. Mais là, tout de même, y a de quoi se poser des questions!
Votre journal favori en a déjà posé quelques-unes, et des bonnes, à propos du prix de ce petit joujou qui n’est pas vraiment celui de la Vierge des pauvres, à propos aussi de ses conditions humaines et environnementales de production et de distribution – Amazon, ça se pose quand même un peu là comme marchand du temple contemporain, non? Quant à la faille de sécurité, qu’on se rassure, le hacker a charitablement averti Rome, qui a réagi au quart de tour (qui a dit qu’à Rome on ne vivait pas avec son temps?) Moi, ce qui me laisse pantoise, c’est que quelques doctes et bien intentionnés vaticanistes puissent imaginer qu’on va ramener les jeunes à la foi à travers ce genre de bidule. Pour qui les prend-on? Pour le coup, il faut vraiment être déconnecté de la jeunesse (en tout cas de celle qui vit en Europe occidentale) pour penser qu’ils puissent se ruer sur l’e-Rosaire comme sur un nouveau smartphone! Pas de surprise: poussant mon investigation, j’ai fait défiler les dizaines de commentaires publiés sur Facebook et c’est gratiné. Des émojis rigolards, des animations et des commentaires hilares, des jeux de mots plus ou moins drôles ("Sainte Marie, bipez pour nous"…), des questions naïves ("c’est quoi, un chapelet?"), des plaisanteries de saison ("Qui mettra cela sous mon sapin?"), quelques insultes, des prises de position ("J’ai la foi, mais l’Eglise pour moi c’est terminé"). Et aussi quelques internautes qui se risquent à dire que tout de même, ça sera peut-être utile à certains et qu’après tout, chacun croit en ce qu’il veut. Beaucoup de jeunes parmi les répondants, mais aussi pas mal de personnes qui pourraient être leurs parents et grands-parents.
Bref, l’e-Rosaire ne semble pas convaincre, même celles et ceux qui n’ont plus l’âge d’être rameutés. Peut-être est-ce là le signe que le bon sens des croyants est plus grand que la panique qui semble être de mise au Vatican. Comment en effet expliquer autrement que par une immense inquiétude cette trouvaille qui a tout du racolage? Oui, les églises se vident; oui, Dieu a disparu du paysage mental de très nombreux jeunes; oui, on peut se demander en certains endroits du monde (dont le nôtre) si les croyants de plus soixante ans ne sont pas les derniers des mohicans. Oui, cela doit nous interpeller et nous sommes nombreux à l’être. Mais que la seule idée d’action soit de "ramener les jeunes à la prière" grâce à un bracelet qui reconnaîtra le signe de croix (dont la plupart ne connaissent plus l’usage), qui comptabilisera leurs Ave Maria (qu’ils ont pour la plupart tout autant oublié), c’est aussi maladroit qu’une publicité pour un hamburger qui semble ne pas savoir qu’aujourd’hui la violence envers les femmes ne fait plus recette. Comme disait le théologien Maurice Bellet: on astique les cuivres sur le pont du Titanic…
Ça ne concerne que les jeunes qui sont croyants? Possible et après tout, si ce genre d’objet de consommation irresponsable les tente, pourquoi chicaner? Il y a tout de même un problème et il est de taille. Les jeunes, croyants ou non, sont l’avenir du monde; c’est eux qui demain en prendront les rênes et en assureront la survie. Cela les inquiète et l’on ferait bien de s’intéresser à ce phénomène croissant de refus de mettre des enfants au monde pour cause de péril de la planète. Qu’on ne dise pas qu’ils sont égoïstes, manipulés, immatures. Ils ont besoin d’écoute, de soutien, d’encouragement, d’accompagnement. Ils ont de la générosité et de l’enthousiasme autant que leurs aînés à leur âge. Simplement, ils sont nés dans un autre monde et ce monde est en train de basculer. Et ce ne sera pas un e-Rosaire qui les aidera à tracer de nouveaux chemins d’humanité. La question posée à la foi, c’est: qu’as-tu fait de ton frère? Aidons-les à garder présente cette question et à cultiver l’espérance. C’est de la prière en actes.

Catégorie : En dialogue

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