“Question d’enfant” – La rubrique de Luc Aerens “Quoi ? Jésus va venir dans mon cœur ?”


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“Question d’enfant” – La rubrique de Luc Aerens  “Quoi ? Jésus va venir dans mon cœur ?”
Par La rédaction
Publié le - Modifié le
3 min

Les parents de Piotr et le prêtre de la paroisse ne s’attendaient pas du tout à la réaction de l’enfant. Il était totalement déstabilisé, angoissé même, après que le prêtre, au cours d’une catéchèse d’initiation à l’eucharistie, avait déclaré: "Jésus va venir dans votre cœur".
"Quoi? Jésus va venir dans mon cœur? Mais comment? Mais il est bien trop grand? Je vais avoir mal? Et puis j’ai très très peur. J’aime pas ça…!"

L’initiation au langage symbolique
Piotr, enfant polonais, maintenant adulte, raconte son effroi et se souvient encore de ce jour avec un certain malaise. Il a mis longtemps à s’en remettre et il attribue à ce fait, cumulé avec d’autres paroles et événements au cours de son cheminement d’enfant et d’adolescent, le fait qu’il a progressivement pris distance avec l’Eglise.
Pour beaucoup d’enfants, l’expression "Jésus va venir dans ton cœur" sonne juste et ils n’imaginent pas un instant qu’il s’agit d’un événement corporel. D’autres, par contre, comme Piotr, sont encore à un stade de langage pré-
symbolique et ils imaginent alors avec horreur la réalisation concrète d’un événement compris au premier degré. Ce qui s’observe ici, c’est que le petit Piotr est totalement surpris, insécurisé, angoissé même, à cause de l’image hyper réaliste qu’il se fait de "Jésus qui viendra dans son cœur". La religion, au sein de sa famille et plus largement dans la société polonaise de l’époque, presqu’exclusivement catholique, était vécue jusqu’alors par l’enfant de manière sereine, naturelle. Et brusquement, cette même religion le déstabilise non seulement intellectuellement et affectivement mais, dans ce cas-ci, quasi physiquement. Or, comme l’écrivait Antoine Vergote* (professeur de psychologie religieuse à l’UCLouvain): "L’enfant a un besoin vital de vivre dans un monde bien fait, heureux, rassurant et stable". C’est cela qui est mis à mal, en une phrase, car hors de portée de sa compréhension. Parallèlement, une étude déjà ancienne (du professeur André Godin S.J. de Lumen Vitae) a montré que la peur de rencontrer Dieu vraiment (donc physiquement) augmente curieusement avec l’âge. 8 % des enfants croyants de maternelles (3-6 ans) craignaient une telle rencontre. Par contre
70 % des enfants croyants de fin de primaire la redoutaient. Piotr n’est donc pas un cas unique.
Les enfants, c’est bien connu, n’ont pas d’emblée accès au langage symbolique. L’initiation à ce type de langage relève d’une lente progression. Il faut toujours, lorsqu’on utilise des expressions et formules toutes faites (par les adultes), comme ici le fameux "Par l’Eucharistie, Jésus vient dans notre cœur", les associer à des expressions plus à la portée des enfants. L’espace mental qui s’ouvre ainsi à l’enfant lui permet progressivement de passer d’un stade de langage à l’autre. Ce que le psychologue Jean-Pierre Deconchy appelle "la pauvreté de la faculté d’abstraction" chez l’enfant est ainsi progressivement inversée.

Tenir compte de la différenciation
Aucun groupe humain n’est homogène quant à son développement. Des enfants du même âge sont, les uns déjà en stade de découverte et de compréhension d’un langage symbolique, tandis que d’autres, comme Piotr à ce moment-là, sont encore dans un stade de compréhension du langage presqu’exclusivement magico-réaliste. Cette hétérogénéité est appelée par les pédagogues "phénomène de différenciation". Il faut absolument en tenir compte.
Le vocabulaire et les expressions bibliques fourmillent évidemment d’exemples qui peuvent faire peur à qui les prend au premier degré. Comme par exemple: "Si c’est à cause de ta main ou de ton pied que tu tombes dans le péché, coupe-le et jette-le loin de toi. Si c’est à cause de ton œil, arrache-le. Il vaut mieux pour toi entrer dans la vie avec un œil que de garder les deux et d’être jeté dans le feu de l’enfer." (Mt 18,8-9) Piotr ne serait alors pas le seul à être angoissé et à prendre distance par rapport à une telle religion.

*Antoine Vergote, "Psychologie religieuse". Ed. Dessart, Bruxelles, 1966, p. 295

Catégorie : L'actu

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