Notre regard sur les animaux est en train de changer à vive allure. L’éthologue Frans de Waal raconte avoir rencontré une éléphante aveugle qui se déplaçait avec son amie voyante. Les deux femelles, sans lien de parenté, paraissaient inséparables. Des exemples de solidarité, d’altruisme ne manquent pas dans le monde animal.
L’entraide et la compassion ne seraient donc pas le propre de l’homme? Ce que l’on pointait jadis comme notre monopole ne nous semble plus totalement réservé. Même le langage, les outils, le jeu! Ne serions-nous pas « trop bêtes pour comprendre leur intelligence », se demande encore l’éthologue.
Nos semblables?
Que les animaux nous soient supérieurs en de nombreux domaines est évident. Essayez de courir aussi vite que le guépard ou de voler plus haut que l’aigle. Ils nous ressemblent aussi en bien des points. Si le chien n’était capable d’aucun sentiment, pourquoi s’attacherait-on à lui? De leur intelligence, de leur conscience, de leurs émotions, nous n’en saurons rien tant que nous ne nous serons pas mis dans leur tête! On ne peut cependant conclure qu’ils en soient totalement dépourvus. Entre eux et nous, la continuité, pour le moins, est manifeste. Le mur qui nous en sépare est un gruyère à multiples trous!
Dans certains domaines, cependant, il y a une différence importante de degré, comme entre l’eau et la glace. Quand la température fraîchit, des paillettes apparaissent à la surface de l’étang; mais à un moment donné, on peut marcher sur la glace. Le langage symbolique, l’art, la spiritualité semblent bien être nos véritables spécialités. Ils manifestent la capacité de l’homme de revenir sur lui-même et en même temps de se dépasser, de viser plus grand que lui, de tendre vers l’infini. Sa conscience réfléchie et sa conscience éthique rendent ce dépassement possible. Non seulement l’être humain sait, mais il sait qu’il sait et, au nom de certaines valeurs, il s’impose des devoirs, même vis-à-vis des animaux.
Un nouveau « mode d’être »
Avec l’homme, apparaît donc un nouveau « mode d’être » fondé sur un cerveau surpuissant et une pensée complexe. Le quantitatif bascule vers un qualitatif proprement humain. Ainsi, l’homme est davantage capable « de renoncer » et de donner priorité totale à l’autre, de faire passer ses enfants avant lui, d’accompagner les plus démunis, d’accueillir les étrangers. Rien ne l’y oblige, mais il perçoit cet appel et il lui arrive – plus souvent qu’on le croit – d’y répondre. S’il y a continuité avec l’animal, la différence de degré est telle qu’elle fait la différence. Mais elle est de responsabilité, et non de domination.
Cette responsabilité prend aujourd’hui une ampleur nouvelle. A l’heure de la mondialisation, nous avons souci de l’humanité entière et la nouvelle conscience écologique nous responsabilise vis-à-vis de l’extinction des espèces en cours et de l’avenir de la Planète. Sans doute le chien aime-t-il son maître, mais il ne se soucie pas de l’avenir de la planète. On a pourtant pu dire que nous étions l’espèce la plus nuisible. Les grands singes, par exemple, ne sont pas destructeurs de leur environnement comme nous le sommes… C’est parce que cette puissance de destruction qui est la nôtre n’est que l’envers de notre puissance de construction, sa face sombre.
Chaque espèce a en elle-même une respectabilité, comme nous et indépendamment de nous. La Bible ne donne d’ailleurs pas lieu à un « anthropocentrisme despotique qui se désintéresserait des autres créatures » dénoncé par le pape François (Laudato si’, 68). Si l’homme n’est plus la mesure de toute chose, il se perçoit de plus en plus comme le gardien du jardin. Il s’interroge non seulement sur ce qu’il y avait avant lui, mais sur l’avenir de cet univers… Quelle responsabilité! Etienne Bimbenet a titré un de ses livres L’animal que je ne suis plus (2011). Certes. Mais cela n’est jamais acquis. C’est chaque jour que nous avons à devenir plus humains, c’est-à-dire plus responsables.
Charles DELHEZ s.j.