Quel regard le bouddhisme porte-t-il sur la figure de Jésus? Le philosophe Fabrice Midal nous livre sa vision, inspirée de la tradition bouddhiste tibétaine. Ce qui frappe le bouddhiste, c’est avant tout le dépouillement radical de l’amour dont témoigne Jésus.
« Bouddha et Jésus sont des frères ». Cette formule renvoie au sentiment que de nombreux bouddhistes partagent: un sens de fraternité avec Jésus. A quelques siècles de distance, le rapport du Christ au judaïsme n’est pas sans rappeler la manière dont Bouddha se situe par rapport à la tradition indienne de son temps. Le Bouddha s’est séparé de la tradition indienne, marquée par un grand sens du rituel, le sens des castes, que dénonça le Bouddha. Comme si, à un moment donné de l’histoire, la nécessité de recentrer le sens spirituel le plus haut apparaissait dans le besoin de revenir à l’essentiel, de revenir à la floraison du cœur.
C’est d’abord par son engagement, son témoignage de la centralité décisive, radicale, et provocante de l’amour que Jésus frappe un bouddhiste .Le Christ naît nu dans l’étable, il monte sur un ânon et non sur un fier destrier, il meurt nu sur la croix. C’est ce premier aspect, cette nudité de l’amour, qui frappe un bouddhiste. Le cœur de l’enseignement du Bouddha, c’est cette nudité-là. Qu’au fond l’amour n’est pas une certitude, une solidité, mais un dépouillement, un abaissement radical – dans la théologie chrétienne, on parle de kénose. Quant au bouddhisme, c’est une voie, et une voie dans la nudité, parce que la nudité est l’espace même de radiation de l’amour, comme ce qui nous dépasse et qui nous appelle.
Matérialisme spirituel
Le deuxième aspect frappant pour un bouddhiste, c’est l’aspect de provocation de la parole du Christ. « Si quelqu’un vient à moi, et s’il ne hait pas son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, et ses soeurs, et même sa propre vie, il ne peut être mon disciple » (Luc 14, 26). « Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu » (Matthieu 19,24). S’il y a une vérité spirituelle – en tout cas celle qu’apporte le Bouddha –, ce n’est certainement pas cette sorte de confort tiède, cette manière d’être en sécurité parce qu’on appartient à une religion. Il y a, au contraire, un dépouillement, une provocation sans cesse plus grande qui nous appelle à une incandescence toujours plus ample.
Chögyam Trungpa, qui a introduit le Bouddhisme en Occident, disait que la spiritualité et la religion ne sont, le plus souvent, qu’une forme de matérialisme. Il y a le matérialisme le plus ordinaire: avoir plus d’argent pour être plus en sécurité. Il y a le consumérisme intellectuel, cherchant une idéologie qui rassure. Mais on peut aussi utiliser la spiritualité, la religion, pour se sentir du bon côté, pour se sentir protégé, pour éviter la nudité. Il s’agit là d’un matérialisme ou d’un consumérisme spirituel.
Un troisième aspect qui touche le bouddhiste, c’est cette nécessité dont témoigne Jésus: l’amour, c’est aussi aimer Dieu de toutes ses forces. Lorsque nous regardons les vagues dans la mer, nous voyons la vague qui vient après l’autre vague, mais nous oublions que la vague est de l’eau. Aimer Dieu, comme peut le comprendre un bouddhiste, c’est se rendre compte que la vague, c’est de l’eau. C’est revenir en soi pour toucher l’immensité. Jésus, dans le dépouillement le plus extrême, s’abandonne dans une ouverture qui dépasse toute mesure. L’amour le plus gtrand est inséparable d’une ouverture immense qui dépasse nos points de repère habituels.
Fabrice MIDAL, Fondateur de l’Ecole occidentale de méditation