Le cardinal Jozef De Kesel, président de la Conférence des évêques de Belgique, est intervenu lors de la rencontre sur la protection des mineurs, à Rome. Il nous a livré quelques réflexions sur les enjeux de ce sommet.
Monsieur le cardinal, quel regard portez-vous sur cette rencontre?
Toutes les interventions que j’y ai entendues marquent un changement de ton dans l’Eglise, à l’égard de cette douloureuse problématique. Les présidents des conférences épiscopales sont déterminés à tourner la page sur beaucoup d’aspects. L’acte de pédophilie n’est pas seulement un péché. C’est aussi un crime. Par conséquent, il faut faire intervenir la justice. L’Eglise ne peut pas régler cette problématique en interne.
On nous a demandé d’agir dans chaque province ecclésiastique (qui regroupe un archidiocèse et plusieurs diocèses dits suffragants, ndlr.) de manière collégiale, non seulement entre évêques, mais aussi de se faire assister par des experts compétents, donc également des laïcs. Il nous a été dit très clairement que le scandale des abus sexuels commis sur des mineurs ne concerne pas seulement quelques pays, ou un continent en particulier, ou l’Occident: aucun évêque ne peut dire que cela ne le concerne pas. La tentation existe en effet de penser que c’est un problème lié à la sécularisation, à la culture occidentale, mais ce n’est nullement le cas.
L’objectif des différentes interventions était de parvenir à ce que la gestion des cas d’abus se fasse dans la transparence, la légalité, le respect des lois civiles. Ce sont des choses qui, pour nous, sont devenues évidentes. En Belgique, on est arrivé à une gestion cohérente de la problématique, comme l’indique le rapport récent de l’Eglise belge.
Sur quoi a porté votre intervention en séance plénière?
Je suis intervenu sur la nécessité de la transparence, sur le fait qu’il ne faut pas essayer d’arranger les choses en interne… Le danger est réel. En Afrique, par exemple, on reconnaît que les abus existent, mais on essaie de régler le problème en famille. On parle très vite de pardon, pour éviter le scandale. Aussi, en Afrique, on ne parle pas de sexualité en public. J’ai dit que je comprenais bien cette réaction, et qu’il y a cinquante ans, cela se passait de la même manière chez nous.
On peut alors avoir l’impression que l’affaire est réglée, à court terme. Mais à long terme, vous allez le payer très cher, ai-je insisté. Nous avons dû apprendre à gérer les abus de façon transparente, et j’ai conseillé de commencer à faire de même. J’ai également souligné le fait le plus grand nombre de cas de pédophilie se produit au sein même de familles. Là aussi, on tente toujours de régler les choses en interne, mais alors, le drame ne va pas s’arrêter. Si on veut que cela cesse, il faut agir dans la transparence.
Quelles ont été les réactions à votre prise de position?
J’ai pu en parler dans le groupe linguistique auquel je participais, un groupe francophone. Là, nous avions le temps d’échanger. Les évêques africains, nombreux dans le groupe, se sont montré conscients du problème, mais ce n’est pas facile, parce qu’ils n’ont pas les mêmes moyens que nous pour aborder ces problèmes. Mais il y a une volonté de le faire. C’était un échange fraternel. Avec l’expérience de notre petit pays, j’ai le sentiment d’avoir pu aider et clarifier certaines choses. J’avais l’avantage d’avoir quelques expériences, ici en Belgique, où on a acquis une vision un peu plus claire sur ce drame. Mais dans d’autres régions du monde, en Afrique ou en Asie, comme c’était le cas chez nous autrefois, on ne parle pas d’abus sur les mineurs. Et c’est cela qui peut avoir des conséquences dramatiques.
Christophe HERINCKX