Peut-être avez-vous entendu cette pub à la radio… Un homme évoque l’ambiance de gentillesse qui prévaut lors des réceptions de fin d’année, sur un ton un peu grinçant qui donne à penser que ces échanges d’amabilité sont de pure forme. En suite de quoi, il conclut d’une voix martiale: "Et maintenant, fini tout ça! Il est temps de penser à moi." C’est-à-dire d’acheter la voiture de mes rêves. Si la publicité est le miroir de nos désirs et qu’elle n’hésite d’ailleurs pas à en créer de nouveaux, alors cette espèce de cri du cœur égocentré en dit long sur la représentation que se fait de nous le monde marchand. Ou plutôt sur cette manière insidieuse qu’il a de titiller notre cerveau reptilien, le plus ancien, celui qui demeure envers et contre tout lié à nos instincts les plus basiques.
Inutile de se voiler la face: oui, évidemment, nous sommes chacune et chacun en recherche de ce qui nous fait plaisir, notre intérêt a bien souvent quelque difficulté à quitter le niveau du nombril et une part de nous-mêmes veille jalousement sur le petit enfant que nous avons été, épris de toute-puissance et de satisfaction immédiate. "Parlez-moi de moi, y a qu’ça qui m’intéresse, parlez-moi de moi, y a qu’ça qui m’donne d’l’émoi", chantait Guy Béart, le tendre finaud. Et c’est bien cela ce qui me gêne dans cette pub, dont le seul argument de vente repose sur la jouissance infantile.
On me dira qu’il s’agit d’humour. Soit. Mais l’humour est un détournement, plus ou moins réussi, d’une réalité existante! Et lorsqu’on découvre le nombre de cadeaux proposés sur des sites de revente, on ne peut s’empêcher d’avoir une pensée pour toutes ces personnes qui ont offert, de grand cœur sans doute, un parfum, un vêtement, un appareil électroménager ou un bibelot qui n’a pas eu l’heur de plaire au destinataire – lequel l’a illico mis en vente, espérant un bénéfice qui lui permettra de se fêter lui-même, elle-même… Serions-nous donc à ce point narcissiques qu’il n’y aurait plus d’espace disponible pour la gratuité, la bienveillance sincère, la reconnaissance? Tous ces vœux reçus, envoyés, seraient-ils des accessoires de théâtre pour une pièce qui ne serait au fond qu’une farce? Je ne puis me résoudre à le croire, sauf à désespérer de l’humain. Me revient plutôt la question, pétrie de triste tendresse, du poète Louis Aragon: "Que fait-on de vous, hommes, femmes? Ô pierres tendres tôt usées…" Que fait de nous ce système qui nous réduit à n’être que des producteurs-consommateurs? Jusqu’où risque-t-il d’user notre capacité de résistance, d’émerveillement et de création? Les artistes, eux aussi, nous tendent des miroirs sans concession, beaucoup plus fins que ceux de la publicité. Celui que propose l’écrivain Michel Houellebecq à travers son dernier livre, qu’on l’admire ou qu’on le conspue, a de quoi plomber ce début d’année – et il n’est pas le seul!
Loin de moi cependant de vouloir jouer les trouble-fête ou les gâche-plaisir! La soirée de Noël passée chez des amis chers, les cadeaux personnalisés que j’ai reçus le 1er janvier, tous ces souhaits pour une année bonne, les multiples "à ta santé!" pétillants comme les bulles, et même les "bonnes résolutions" dont la moitié, je le sais, passera à la trappe d’ici quelques jours, oui, toutes ces paroles, ces gestes, ces liens ont la bonne odeur et le goût délicieux de la tendresse, la vraie, celle qui illumine les journées fastes et console de celles qui sont enténébrées. Il n’est pas certain, même si on peut l’espérer, que l’année qui s’ouvre sera radicalement meilleure que celle qui vient de se terminer: sans même penser à soi, il suffit d’ouvrir le journal du jour pour avoir quelque doute… Mais oser dire, oser écrire: "bonne année, bonne santé!" c’est, n’en déplaise aux publicitaires en mal d’imagination, beaucoup plus, infiniment plus qu’une formule convenue, monnaie sans valeur qui paierait les droits d’une politesse feinte. Le simple fait d’affirmer que ce que l’on souhaite pour autrui, c’est la vie bonne, c’est déjà un démenti à tout ce qui entend nous rabougrir le cerveau et le cœur. Le jour où (à Dieu ne plaise!) l’on passera à l’an nouveau comme on zappe d’un programme à l’autre, dans l’indifférence et l’ennui, quand la fête sera devenue mascarade et le cadeau, un dû, alors nous serons vraiment en grand danger. Il ne tient qu’à nous que ce cauchemar n’advienne jamais.
Voilà pourquoi, amis lectrices et lecteurs, je vous offre, du fond du cœur, cette phrase de Christian Bobin: "L’invisible est une vague. A la seconde où elle s’abat sur le cœur, c’est le paradis." L’invisible est en nous. Il est présent en tout visage, en tout paysage, en toute chose. Puissions-nous avoir la grâce de nous laisser éclabousser - au moins un peu… - chaque jour de cette nouvelle année!
La chronique de Myriam Tonus – « C’est cadeau ! »
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Myriam Tonus
Chroniqueuse
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