
Un garde du Parc au bord du volcan Nyiragongo, dont l’approche n’est plus possible aujourd’hui, pour cause d’insécurité. © Béatrice Petit
Face au projet de déclassement au patrimoine mondial d’une partie du joyau de l’Est du Congo, Justice et Paix a donné la parole à quelques spécialistes de la question lors d’une conférence au Parlement le 20 novembre. Menace ou opportunité?
Coiffé des neiges éternelles des Monts Ruwenzori à la frontière ougandaise et du feu de volcans encore actifs voisins du Rwanda, le plus ancien parc d’Afrique, créé par le Roi Albert Ier en 1925, s’étend aujourd’hui sur près de 800.000 hectares. Il mérite tous les superlatifs de par ses paysages, sa beauté, avec le lac – Edouard – le plus élevé du continent et surtout, la plus grande biodiversité dont une espèce emblématique est menacée, les gorilles de montagne.
Invité de Justice et Paix, l’archevêque de Bukavu, Mgr Mauroy, se souvient d’avoir contemplé dans sa jeunesse, d’immenses troupeaux d’éléphants, d’antilopes, d’hippopotames, une faune exceptionnelle.
Doctorant en anthropoïde-histoire africaine à l’UCL et à la KUL, Thomas Tembo explique que cet espace devenu parc a laissé derrière lui divers royaumes et autant de tribus, pour qui la terre-mère, considérée comme sacrée, ne se vend, ni ne se donne: elle est concédée.
Après la découverte par Stanley de « la plus belle région du monde », les Belges ont voulu avoir leur parc, à l’instar des Etats-Unis, à la différence qu’il devait être consacré à la recherche scientifique. Etablie à l’origine dans des régions de volcans endormis, la réserve s’est étendue vers des zones habitées, provoquant des revendications de terres, finalement consenties par les Belges. Après l’indépendance, la protection de la nature devient une gageure. Après le génocide rwandais de 1994, lors des guerres menées en RDC, ce qui devait être un sanctuaire se détériore de plus en plus avec l’invasion de groupes armés, qui sèment la terreur, braconnent et déboisent pour se faire de l’argent avec du charbon de bois vendu à grande échelle. 170 rangers ont été tués depuis 1994. Suite à l’assassinat de l’un d’eux et la prise en otages de deux touristes en mai dernier, le Parc est provisoirement fermé.
Une entreprise pétrolière accusée de crimes
Lorsqu’en 2006, des réserves énormes de pétrole sont découvertes en Ouganda, dans le lac Albert, le long du même rift que les Virunga, les autorités congolaises rêvent. Lambert Mende, le ministre des hydrocarbures à l’époque, n’entend pas risquer de voir filer la manne céleste chez le pays voisin et fait dresser une cartographie. Le bloc pétrolier V, le plus prometteur, au sein du Parc, à hauteur du lac Edouard, est attribué à la société SOCO International, basée à Londres.
« Selon l’enquête que j’ai menée, explique Mélanie Gouby, journaliste d’investigation pour le documentaire Virunga, les méthodes de Soco sont clairement illégales. » L’entreprise joue la carte de l’exacerbation des tensions interethniques entre primo-occupants (Nande) et ‘intrus’ (Hutus), soudoie des groupes armés, tente d’acheter des agents de l’ICCN (Institut Congolais pour la Conservation de la Nature), corrompt le ministre du Plan ainsi que certains chefs coutumiers et jusqu’aux associations de pêcheurs. Après avoir remis au Procureur un dossier sur les agissements de SOCO, le directeur du Parc, Emmanuel de Merode est grièvement blessé par balle en avril 2014. Malgré des accusations, largement étayées dans le film Virunga, et un lourd passé au Congo-Brazzaville, SOCO nie toute implication en matière de corruption ou de crimes.
Pour contourner l’interdiction d’exploration dans un site classé au patrimoine mondial, SOCO, soutenue par les autorités congolaises, invoque une visée scientifique et parvient à effectuer des forages. Les données sont transmises au Gouvernement. Sous la pression d’ONG et de la communauté internationale, SOCO dit se retirer en 2015 et ne fait pas renouveler sa licence d’exploration malgré l’importance probable des gisements (près de 7 milliards de barils). L’absence de port comme d’infrastructures de transport feraient flamber les coûts d’exploitation. Seule une « major » comme Total, déjà implantée en Ouganda et au Kenya, serait susceptible d’être intéressée. Echaudée ailleurs, avec une image ternie, la compagnie française s’est toutefois engagée à ne pas exploiter dans la réserve naturelle.
Mais que feront l’entreprise SOCO elle-même ou ses sous-traitants, ou Total, si le déclassement projeté de 21% du Parc se réalise? Lors de son retrait officiel en 2015, SOCO s’était aménagée une réserve dans l’éventualité où « l’Unesco et le gouvernement de la RDC conviennent que ces activités ne sont pas incompatibles avec son statut de patrimoine mondial »
De l’argent rapide pour le pouvoir
Pour le chercheur indépendant Patrick Edmond, le régime de Kabila veut de l’argent à court terme. Il aurait donc intérêt à faire durer les choses en nourrissant promesses et illusions avec « des papiers à vendre ». Pour de simples consultations, les agents de l’Etat exigent des centaines de milliers de dollars. Sans aucune garantie. « Ainsi, explique Patrick Edmond, entre 2006 et 2010, une multitude de protocoles d’accords ont été signés au ministère des hydrocarbures, mais finalement déchirés pour la plupart ». Si, sous Mobutu et Kabila père, le pétrole, peu rentable, n’attirait guère les yeux du pouvoir, il n’en va plus de même aujourd’hui. Toutes les questions liées à l’or noir vont directement à la présidence. Les ministres reçoivent des ordres. Les élections approchent et avec elles, le besoin de cash.
Opportunité de développement?
« Si le Gouvernement congolais a approuvé le 8 juin la constitution d’un comité interministériel pour étudier le déclassement de 21,5% du Parc des Virunga et d’une partie de celui de la Salonga, il n’est pas clair qu’il veuille réellement aller de l’avant », expose l’ambassadeur honoraire Franck De Coninck, membre de la Fondation Virunga.
Outre les difficultés liées à la géographie de la zone, des tensions régionales risquent de resurgir, suite au tracé de frontières coloniales établies sur des cours d’eau comme au niveau du lac Albert. Que se passera-t-il si seul l’Ouganda exploite?
Les 10 millions d’habitants voisins du Parc des Virunga, qui comptent parmi les plus pauvres de la planète, auraient grandement besoin des recettes pétrolières potentielles. « Hélas, le principe de la rétrocession (40%) aux provinces a peu de chance d’être appliqué », poursuit le diplomate, pour qui la seule alternative est l’Alliance Virunga, passée entre la société civile, les institutions publiques et le secteur privé en vue d’un développement responsable.
Dans le contexte de surpopulation de cette partie du Nord Kivu – avec une densité qui peut aller jusqu’à 900 habitants/km2 –, on ne peut se contenter d’invoquer les gorilles de montagne en danger pour préserver un sanctuaire.
L’Alliance Virunga a pour vocation de montrer à la population que l’existence du parc est un facteur de développement, dans son intérêt. Pour cela, il faut l’électrification, qui attirera des petites entreprises, assurera davantage de sécurité et fournira de l’énergie à la population, mais aussi des infrastructures routières, des projets agricoles etc. Les investissements nécessaires sont couverts par les revenus du parc, par des coopérations multiples (Europe…) sans oublier la sensibilisation des opinions publiques, qui lèvent des fonds à travers diverses fondations aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne et en Belgique.
Si on regarde l’essor du tourisme haut de gamme au Rwanda et en Tanzanie, le Parc des Virunga recèle un potentiel économique extraordinaire avec bien plus d’atouts si du moins, les armes se taisent. En lançant l’Alliance Virunga, Emmanuel de Merode parlait de 100.000 emplois possibles dans une région où 70% des jeunes sont sans emploi.
Agenda caché
Par ailleurs, la volonté d’ôter un statut de protection à 172.000 hectares de forêts, riches en bois précieux, ne risque-t-elle pas d’ouvrir la voie à d’autres exploitations que le pétrole dans une région très convoitée par les voisins ougandais et rwandais?
Qui n’a entendu parler des massacres à répétition de Beni, imputés à de mystérieux rebelles ougandais, face auxquels l’armée congolaise ferait preuve d’une étrange inertie? En réalité, une kyrielle de groupes armés dont nombre de Congolais ou de Rwandais, accusés de complicités avec des officiers supérieurs proches de Kabila, trouvent refuge dans le Parc.
Les habitants de Beni déplorent qu’un gorille tué soit davantage médiatisé que l’avalanche d’atrocités dont ils sont victimes avec pour but, de les faire fuir. A quelles fins?
Béatrice PETIT