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Bien sûr, il y a des échecs! Un excellent journaliste, Patrick Poivre d’Arvor, a rassemblé, en fin de carrière, ses poèmes préférés. Depuis hier et jusqu’à aujourd’hui. Cela donne quatre cents pages superbes. Une mine de tendresse!
Une chose pourtant me chagrine: les plus belles chansons de ce livre sont éclaboussées de tristesse. Dans nos vies, les pleurs seraient-ils plus forts que les rires? « Que reste-t-il de nos amours? » chantait Charles Trenet. Et, plus près de nous, Léo Ferré dit pareillement: « Avec le temps va/tout s’en va/Même les plus chouettes souvenirs/ça t’a une de ces gueules! » Aujourd’hui (peut-être plus qu’avant?), il y a beaucoup de larmes. Des tumeurs, des thromboses, des arthrites et tant d’autres maladies s’emparent, à corps perdu, de nos proches.
Mais il y a pire encore. Autour de nous, tant d’autres misères, tant de cœurs meurtris qui saignent douloureusement. Ceux-là ne connaissent pas de « cardiologues » efficaces. Ainsi donc, au bout de ma rue, c’est une maman que sa fille ignore totalement. Ailleurs, une voisine est tout heureuse de recevoir un coup de téléphone erroné pour avoir enfin l’occasion de parler à quelqu’un. Et puis, il y a ce bon Léon qui ne raconte sa souffrance qu’à lui-même, « parce que, les autres, cela ne les intéresse quand même pas. »
Aux dernières heures de sa vie, Jésus s’est caché dans un bosquet pour prier à l’aise. Pour pleurer aussi. Parce qu’il était « envahi par la tristesse ». Et mon bon Léon, qui ne disait son mal à personne, a ajouté: « Quant à moi, il me reste mon lit. Pour pleurer. »
Savait-il, ce brave homme, que, bien avant lui, Alfred de Musset disait déjà: « Le seul bien qui me reste au monde est d’avoir quelques fois pleuré »?
Offrir son indigence
Et le bonheur de donner? Comme un vieux curé qui abandonne sa paroisse, l’apôtre Paul a résumé ainsi l’idéal de sa mission: « Il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir. » (A.A.20,35). Et pour affirmer sa devise, Paul ajoute: « Comme disait le Seigneur Jésus ». Il est vrai que cette phrase superbe, à propos de la joie de donner ne se trouve pas dans les évangiles. Et pourtant, manifestement, c’est du Jésus tout craché.
Le bonheur de donner? Mais nous sommes spontanément avares. Il nous est pénible de lâcher un peu de notre temps ou de notre argent. Mauriac dans sa Vie de Jésus s’est arrêté, avec admiration, devant une pauvre veuve qui vidait sa bourse. Elle offrait de « son indigence », dit le texte. Nous, nous en restons à donner de notre superflu (c’est-à-dire, en français familier: ce dont je n’ai plus besoin et qui me reste alors que je me suis copieusement servi…).
Et Mauriac – toujours lui – en soupesant nos minables offrandes, nous pose une terrible question: « Que vaut une aumône qui ne prive pas? Peut-être n’avons-nous jamais rien donné? »
En arrivant à notre dernière heure, serons-nous obligés d’avouer que nous n’avons jamais rien donné?
Mais c’est affreux! Je me serais donc privé du bonheur le plus intense qui soit. Jamais je n’aurais reçu un clin d’œil de celui qui m’aurait glissé à l’oreille: « Bravo! Je suis fier de toi! Qu’attends-tu pour continuer? »
Aurions-nous oublié que le bonheur c’était d’en donner?
A longueur de vie, il nous en coûte de donner courageusement de notre temps ou de notre bourse. Mais, finalement, quelle joie!