Le pontificat le plus court de l’Histoire contemporaine


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Le pontificat le plus court de l’Histoire contemporaine
Par Sophie Delhalle
Publié le - Modifié le
10 min

(c) vatican.va

Il y a quarante ans, le 26 aout 1978, débutait le pontificat le plus court de l'histoire contemporaine de la papauté. Jean-Paul Ier est décédé trente-trois jours après avoir pris ses fonctions en qualité de 263e pape. Quel a été son apport à l’Eglise malgré la brièveté de son règne ?

A propos de ce pape, le premier élu après la clôture de Vatican II, récemment déclaré Vénérable (son procès en béatification est actuellement en cours), des théories complotistes ont circulé et fait couler beaucoup d'encre en raison des soi-disant circonstances opaques de son décès. Fin 2017, un livre venait mettre un terme à toutes ces conjectures, Le Pape Luciani. Chronique d’un décès. L'auteure, Stefania Falasca, journaliste italienne, qui est aussi la vice-postulatrice de la cause de sa béatification, avait alors affirmé à nos confères de Famille chrétienne que "le pape Luciani a été victime d’une « mort subite ». En médecine légale, cette expression doit être toujours comprise comme une mort naturelle. La vérité est tout simplement que Jean-Paul Ier est mort d’un infarctus". Les preuves écrites, non rendues publiques à l'époque pour sauvegarder, entre autres, le secret professionnel, ont depuis été portées à notre connaissance et montrent bien que le pape est décédé dans son lit, ayant connu un premier malaise la veille de sa mort mais n'ayant pas voulu en alerter son médecin.

Interrogée sur la ressemblance entre François et Jean-Paul Ier, la journaliste a ainsi déclaré: "Les quatre audiences générales sur l’humilité, la foi, l’espérance et la charité que Jean-Paul Ier tint au cours son pontificat, restent un exemple illustre de l’efficacité de l’oralité de ce pape, dans le sillon du concile Vatican II, conjuguant nova et vetera – la nouveauté et la tradition – en une heureuse synthèse. Sa proximité, son humilité, sa simplicité et son insistance sur la tendre miséricorde de Dieu sont les traits qui ressortent d’un magistère conciliaire qui, il y a quarante ans, suscitèrent de l’attrait dans le peuple de Dieu. On retrouve les mêmes traits chez l’actuel successeur de Pierre. Jean-Paul Ier a été avant tout témoin de l’amour miséricordieux de Dieu : c’est une constante de sa vie conforme à sa prédication. Sa référence à la nature du cœur de Dieu qui est amour, un amour qui nous précède, trouve des accents particuliers et une consonance profonde avec la prédication du pape François."

Dans la continuité du Concile

Paul VI, prédécesseur de Jean-Paul Ier, lors du Concile Vatican II (1962-65) (c) Lothar Wolleh

De façon inédite, le nouveau Pape avait choisi de reprendre les noms de ses deux prédécesseurs, Jean XXIII et Paul VI, marquant ainsi un signe de continuité pour la mise en application du Concile Vatican II.

Né en octobre 1912 dans une famille modeste, Albino Luciani avait été ordonné prêtre en 1935. Rapidement, il deviendra l'un des responsables du séminaire de Belluno, puis il sera consacré évêque de Vittorio Veneto par Jean XXIII en 1958, malgré une santé fragile. Onze ans plus tard, il est transféré comme Patriarche de Venise par Paul VI, qui le crééra cardinal en 1973. Ses années d'épiscopat seront marqués par la défense d'une orthodoxie doctrinale parfois contestée au sein du clergé, suite aux remous post-conciliaires. Dans le même temps, le cardinal Luciani, fils d'un ouvrier socialiste antic-clérical, n'aura de cesse d'œuvrer à un dialogue en profondeur avec toutes les couches de la population, notamment les plus pauvres et les travailleurs manuels.

Son élection en 1978 suscita enthousiasme et adhésion. Le "Pape au sourire" multiplie les contacts informels, s'éloignant souvent du protocole romain. Il choisira notamment d'abandonner la chaise à porteurs, jugée surannée.

Un trésor de paroles

Malgré la brièveté de son pontificat, Jean-Paul Ier nous a adressé des paroles qui aujourd'hui encore peuvent nous éclairer, tel un trésor dont la valeur ne fait qu'augmenter avec le temps. Moderne avant l'heure, disent certains, il ponctuait ses discours de nombreuses "histoires" et faisait preuve d'une grande culture en citant la Bible, des auteurs chrétiens mais aussi des poètes et des philosophes. Redécouvrons-les ensemble.

La foi
Lors de sa deuxième audience, le pape souhaitait éclairer l'une des "sept lampes de la sanctification", autrement dit les sept vertus, en l'occurence la foi, les autres étant l'espérance, la charité, la prudence, la justice, la force et la tempérance. "Qui sait si l'Esprit Saint aidera aujourd'hui le pauvre Pape à éclairer au moins une de ces lampes, la première : la foi." Il évoque d'entrée l'histoire de Saint Paul et de sa conversion sur le chemin de Damas pour affirmer : "Voilà ce qu'est la foi : se rendre à Dieu, mais en transformant sa propre vie". Plus loin, il nous parle de la figure de Saint Augustin et de ses tourments, de cette difficulté d'avoir la foi, de faire confiance. Pour en arriver à cette première conclusion qui nous renvoie de manière stupéfiante aux déclarations du pape François : " Voilà, il ne faut pas dire : Oui, mais ; oui, mais plus tard. Il faut dire : Oui, Seigneur, tout de suite ! C'est cela, la foi. Répondre généreusement au Seigneur. Mais qui est celui qui dit "oui" ! Celui qui est humble et se fie à Dieu complètement !" (cfr Pape François, "Quand vous priez, dites Notre Père") Le Saint Père reconnait qu'"Il y a aussi quelque vérité peu facile à admettre, car les vérités de la foi sont de deux sortes : quelques-unes plaisent à notre esprit, d'autres le heurtent. (...) Puis, il y a une dernière difficulté, l'Eglise." Il cite une fois encore Saint Paul : "Corpus Christi quod est Ecclesia". Le Christ et l'Eglise sont une seule et même chose. Le Christ est la tête, nous, l'Eglise, nous sommes ses membres. Il n'est pas possible d'avoir la foi et de dire "Je crois en Jésus, j'accepte Jésus, mais je n'accepte pas l'Eglise" Et de nous donner cette parole qui aujourd'hui encore trouve un écho tout particulier : "Elle est mère également, l'Eglise. Si elle est la continuatrice du Christ et que le Christ est bon : l'Eglise aussi doit être bonne, bonne envers tous. Et si par hasard, il y avait parfois des mauvais dans l'Eglise ? La maman, nous l'avons. Si la maman est malade, si par malheur ma maman dévient boiteuse, je l'aime plus encore. Dans l'Eglise, c'est pareil. S'il s'y trouve des défauts et des manquements — et il s'en trouve — notre affection à l'égard de l'Eglise ne doit jamais faiblir." Il termine en appelant les fidèles à améliorer l'Eglise en devenant meilleurs eux-mêmes. Le pape François dit-il autre chose ?
L'espérance
Dans le discours prononcé lors de sa troisième audience, le pape nous entretient de cette vertu "obligatoire pour tout chrétien": l'espérance. Car "celui qui la vit voyage dans un climat de confiance et d'abandon". Et cette espérance, malgré les difficultés, les peines et les obstacles, est possible parce que "Dieu est tout-puissant, Dieu m'aime infiniment, Dieu est fidèle à ses promesses." Il répond aux sceptiques tel que Nietzche pour qui l'espérance est la "vertu des faibles" ("elle ferait du chrétien un faible, un séparé, un résigné, un être étranger au progrès du monde") par un extrait du Concile Vatican II : " le message chrétien loin de détourner les hommes de la construction du monde... leur en fait au contraire un devoir des plus pressants." Cette troisième audience montre aussi la propension de Jean-Paul Ier a émaillé ses discours d'exemples et récits imagés pour toucher son public. Il conclut entre autres par ceci : "Je pense que le Magistère de l'Eglise n'insistera jamais assez en présentant et en recommandant la solution des grands problèmes de la liberté, de la justice, de la "paix," du développement, et les laïcs catholiques ne lutteront jamais assez pour résoudre ces problèmes."

La charité

"Mon Dieu, je vous aime de tout mon cœur, par-dessus toute chose. Vous, Bien infini, notre bonheur éternel et, par amour pour Vous, j'aime mon prochain comme moi-même et je pardonne les offenses reçues, ô Seigneur, que je vous aime toujours plus !".C'est une prière très connue, entrelacée de phrases bibliques. C'est ma maman qui me l'a apprise. Encore maintenant, je la récite plusieurs fois par jour, et je vais tenter de vous l'expliquer, mot par mot, comme le ferait un catéchiste de paroisse." Tel est le programme annoncé de cette dernière audience pour le pape qui malheureusement rendit l'âme peu après."Aimer Dieu, c'est donc voyager vers Dieu, avec le cœur. Un voyage merveilleux." Et les voyages de l'amour envers Dieu sont infiniment plus intéressants que ceux de Jules Vernes ! même s'ils comportent "des sacrifices, mais ceci ne doit pas nous arrêter. Jésus est en croix : tu veux l'embrasser ? tu ne peux faire moins que de te pencher sur la croix et te laisser piquer par quelqu'épine de la couronne qui se trouve sur la tête du Seigneur. (...) L'amour pour Dieu est également un voyage mystérieux c'est-à-dire que je ne me mets pas en route, si Dieu ne prend pas d'abord l'initiative". Le passage suivant a du probablement marquer l'esprit des auditeurs, et devrait nous interpeller tout autant : "Dans la politique le totalitarisme est déplorable. Mais dans la religion, par contre, notre totalitarisme à l'égard de Dieu va très bien. Il est écrit : "Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur , de toute ton âme, de toutes tes forces. Ces préceptes qu'aujourd'hui je te donne, tiens les fermes dans ton cœur ; tu les répéteras à tes fils ; tu en parleras quand tu seras assis chez toi, quand tu iras par les chemins, quand tu te coucheras et quand tu te tèveras. Tu les attacheras comme un signe sur ta main et ils serviront de fronteau entre tes yeux ; tu les inscriras sur le seuil de ta maison et sur les portes" (Deut 6, 5-9). Ce "tout" répété et soumis à la pratique avec tant d'insistance est vraiment l'étendard du christianisme maximum. Et c'est juste : Dieu est trop grand, il mérite trop de nous pour que nous puissions lui jeter, comme à un pauvre Lazare quelques miettes de notre temps et de notre cœur." Et de nous secouer un peu : "Certaines personnes, il est facile de les aimer ; pour d'autres, c'est difficile ; elles nous sont peu sympathiques, elles nous ont offensés, ou fait du mal ; ce n'est que si j'aime Dieu vraiment, sérieusement, que je parviendrai à les aimer en tant que fils de Dieu, et parce que Celui-ci me le demande. (...) nous sommes, individus et peuples, encore bien loin d'aimer autrui "comme nous mêmes", ce qui est le commandement de Jésus".

Il conclut ainsi : "Cela signifie aimer Dieu, non pas un peu, mais beaucoup, ne pas s'arrêter là où on est arrivé mais, avec Son aide, progresser dans l'amour."

S.D.


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