Liège: dernier hommage aux policières assassinées et homélie de Mgr Delville


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Liège: dernier hommage aux policières assassinées et homélie de Mgr Delville
Par Pierre Granier
Journaliste de CathoBel
Publié le - Modifié le
6 min

Lors des funérailles présidées par Mgr Delville, Lucile Garcia et à Soraya Belkacemi ont reçu la Croix civique de première classe à titre posthume. De très nombreux policiers venus de tout le pays sont venus rendre hommage à leurs collègues.

Un millier de personnes, habillées de blanc, avaient assisté hier (lundi) aux funérailles de Cyril Vangriecken, ce jeune futur instituteur assassiné le 29 mai par Benjamin Herman. Elles étaient encore des centaines ce matin, dont de très nombreux policiers venus de tout le pays, pour rendre hommage cette fois à Lucile Garcia (dit Cathy) et Soraya Belkacemi, les deux policières de la ville de Liège tombées sous les balles du terroriste. La cérémonie a eu lieu au Centre funéraire de Robermont, en présence du représentant du Roi, du Premier ministre Charles Michel, du ministre de l'Intérieur, Jan Jambon, qui a remis aux deux policières la croix civique de première classe à titre posthume, des autorités civiles et de nombreuses autres personnalités politiques. Le prince Laurent était également présent, incognito. Il est resté à l'extérieur du centre funéraire.

Ces funérailles ont été présidées par Mgr Jean-Pierre Delville, évêque de Liège, assisté de l’abbé Jean-Pierre Pire, doyen de Liège, et de M. Jean-Pierre Huyts, membre de l’aumônerie catholique du Centre funéraire.

Les deux familles des victimes étaient très liées l’une à l’autre grâce à l’amitié réciproque des deux policières. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle les obsèques de Cathy et Soraya ont été célébrées ensemble. Deux familles également animées par la foi chrétienne et qui ont demandé à Mgr Delville de bien vouloir présider cette célébration.

Dans son mot d'accueil, l'évêque de Liège a rappelé que pour la deuxième fois de son histoire récente, la Cité ardente a été touchée directement par une tuerie d’une violence aveugle. Cependant, a-t-il poursuivi, "nous ne devons pas nous laisser submerger par les réactions de peur et de haine. C’est une mission pour nous tous de ne pas nous résigner, mais d’être des artisans de paix, pour nous opposer au développement de la haine". Et de conclure en invitant chacun à vivre ce moment de célébration dans le recueillement, "pour ressortir de cette rencontre grandis intérieurement et motivés pour construire dans l’amitié de la société de demain".

P.G. (avec Diocèse de Liège)

L'homélie de Mgr Jean-Pierre Delville

"Restez en tenue de service, votre ceinture autour des reins, et vos lampes allumées" (Lc 12, 35-38). Quand j’ai lu ces paroles du Christ, vendredi dernier, lors de la préparation de cette célébration avec les familles, j’ai tout de suite pensé à nos deux policières, Lucile, appelée habituellement Cathy, et Soraya, parce qu’elles sont mortes, assassinées, en tenue de service. J’ai proposé ce texte d’évangile parmi d’autres, aux deux familles et elles ont choisi celui-ci pour la célébration des funérailles de leur chère défunte ; elles l’offrent aujourd’hui à notre méditation. La tenue de service dont parle le Christ évoque la loyauté de la personne à qui une mission de surveillance a été confiée. Soraya et Cathy (je vais garder dans cette homélie le nom de Cathy plutôt que celui de Lucile, pour mieux coller au vécu quotidien de la famille) étaient constamment en tenue de service. J’ai eu l’occasion de les voir la semaine avant l’attentat, en train de surveiller le quartier et de verbaliser les voitures mal garées. Je me suis dit qu’elles étaient courageuses, car ce n’est pas une tâche facile ou agréable que celle-là, avec les citoyens indisciplinés que nous sommes – moi le premier ! Et j’ai pensé au travail parfois ingrat que font les policiers, et qui leur vaut souvent des injures ou des rouspétances. Or c’est pour avoir accompli ce travail au service de l’ordre dans la société qu’elles ont été assassinées. C’est choquant et révoltant. Elles savaient le danger, qu’elles courraient ; les familles m’ont dit qu’elles en parlaient parfois. Mais elles faisaient plus que ce qu’elles devaient. D’abord, elles étaient amies et faisaient toujours leur service ensemble ; elles s’encourageaient mutuellement dans le travail. Elles avaient aussi rapproché leurs deux familles, qui profitaient ainsi de leur amitié et se soutenaient l’une l’autre dans les difficultés nombreuses que la vie leur a réservées. C’est ainsi que Cathy avait perdu autrefois un fils dans un accident de la route et s’était engagée dans l’ASBL « Parents d’enfants victimes de la route ». De plus, chaque jour Soraya et Cathy aidaient deux SDF qui logeaient rue des Clarisses et un de la rue des Augustins. Ceux-là aussi vont sentir le vide, m’ont dit les familles. Cathy et Soraya sont restées ensemble jusqu’à la fin.

Dans le texte évangélique que nous venons de lire, le Christ évoque la joie du disciple qui a pu rendre service à son maître, même en pleine nuit. Et il ajoute : « Heureux ces serviteurs-là que le maître, à son arrivée, trouvera en train de veiller. Amen, je vous le dis : c’est lui qui, la ceinture autour des reins, les fera prendre place à table et passera pour les servir. » Dans ce langage imagé et parabolique, Jésus a l’audace de suggérer que le maître de maison, qui représente Dieu, se mettra à son tour en tenue de service et servira les serviteurs ! Le patron devient le serviteur des serviteurs. C’est ce que Jésus a vécu personnellement en se mettant au service des malades de son temps et en les guérissant et ne les remettant debout. Il suggère que cette attitude est celle de Dieu lui-même, qui de créateur devient serviteur. Ce renversement des valeurs et des hiérarchies est au cœur de la foi chrétienne et invite le chrétien à devenir à son tour un serviteur du prochain. C’est bien ce que Soraya et Cathy ont vécu. Cette attitude est porteuse d’avenir. Même si elle va contre-courant d’un certain esprit dominant, un peu « je m’enfoutiste » qui a tendance à dire : « n’en fais pas trop », « ne t’épuise pas ». Avec Cathy et Soraya, l’esprit de service, le don de soi, a débouché sur le don de leur vie, sur le sacrifice de leur existence. Mais aujourd’hui, nous découvrons qu’elles sont porteuses de vie et de courage pour nous tous. Comme dit l’évangéliste Jean, dont nous avons lu la première lettre : « N’aimons pas en paroles ni par des discours, mais par des actes et en vérité » (1 Jean 3,14-16). Voilà bien ce qu’ont vécu Soraya et Cathy. L’amour qu’elles ont donné dépasse leur existence et rebondit jusqu’à nous. La mission du chrétien est de construire des liens entre les personnes et d’éviter les amalgames. Nous le savons, si l’islam a été invoqué comme motivation de la tuerie, c’est qu’il est manipulé et pris en otage par des terroristes et des gens violents. Nous devons donc contribuer à libérer l’islam de ces interprétations manipulatrices et perverses, en promouvant continuellement le dialogue et l’amitié. Certes, nous nous sentons parfois dépassés ou impuissants. Mais, comme dit saint Jean : « Devant Dieu nous apaiserons notre cœur ; car si notre cœur nous accuse, Dieu est plus grand que notre cœur, et il connaît toutes choses. » Dieu comble les lacunes de notre amour et nous pousse plus loin que ce dont nous nous croyons capables.

Jésus nous aime comme nous sommes, mais il voit en nous plus que nous ne voyons nous-mêmes. Alors prions les uns pour les autres, prions pour la paix sociale, portons-nous dans l’amitié et la solidarité, à l’exemple de Cathy et Soraya. Gardons l’espérance dans le désarroi et soyons tous des artisans de paix. Amen !

Catégorie : Belgique

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