
Maurice Bellet était un « explorateur » dans les domaines de la psychanalyse, de la philosophie et de la théologie.
Le théologien français Maurice Bellet est passé sur « l’autre rive » le 5 avril, à l’âge de 94 ans. Il laisse une œuvre considérable, dont les archives ont été léguées à l’UCL. La théologienne belge Myriam Tonus a collaboré à son travail des années durant. Elle nous a livré son témoignage.
Davantage reconnu en France qu’en Belgique, un pays qui lui était cher, Maurice Bellet avait décidé de léguer ses archives à l’Université catholique de Louvain. Pour Myrian Tonus, elle-même auteure et théologienne, cette reconnaissance « ouvrira un avenir à l’œuvre » de celui que beaucoup considèrent comme l’un des grands théologiens catholiques de ces soixante dernières années.
Myriam Tonus connaissait le prêtre depuis plus de vingt ans. Alors qu’elle suivait sa formation en théologie, elle lui écrivit, fortement marquée par deux de ses ouvrages: Le Dieu pervers (Desclée De Brouwer, 1979) et La Voie (Seuil, 1982). Maurice Bellet lui répondra et l’invitera à le rencontrer à Paris. Ce sera le point de départ de nombreux échanges. Au fil du temps, la théologienne belge aidera Maurice Bellet dans son travail, en rassemblant ses manuscrits ou en organisant un séminaire en Belgique avec l’auteur. Myriam Tonus a été chargée par le théologien de veiller sur son œuvre après son décès.
Psychanalyse, philosophie, théologie
En cinquante-cinq années, Maurice Bellet a publié à peu près autant d’ouvrages. Comment résumer les apports majeurs d’une œuvre si importante? Répondant à cette question, Myriam Tonus relève d’abord que trois mots revenaient constamment chez lui, trois mots qui étaient comme « les axes de sa réflexion et de son travail: psychanalyse, philosophie, théologie, qui étaient les trois domaines dans lesquels il était un explorateur« . Ces trois sources alimentaient toute sa pensée, et il n’eut de cesse de les faire se rencontrer.
Alors qu’on a parfois dit que le théologien et philosophe – il avait obtenu un doctorat dans les deux disciplines – voulait réformer l’institution religieuse qu’est l’Eglise, Myriam Tonus indique que cela n’a jamais été son intention. Son champ d’exploration était bien plutôt le cœur même de la foi. « C’était une recherche extrêmement radicale qui touche à tout ce qui est en amont, comme il disait, de la pensée, de nos réflexions. Et ce qui est au-delà est indicible.«
Deux autres mots étaient dès lors très importants pour lui: l’écoute et la parole. « L’écoute était première« , poursuit la théologienne. « L’écoute des Ecritures, mais aussi et surtout l’écoute des personnes, pour pouvoir entendre sans jugement, sans a priori, sans vouloir même dire ou faire quelque chose. Une écoute, comme il disait, absolument nue, où il s’agit d’entendre ce qui se dit au cœur le plus profond de la personne et que parfois, et même souvent, la personne n’entend même pas elle-même. » Il s’agit souvent de quelque chose de douloureux, et pour Myriam Tonus, Bellet est probablement le seul théologien qui a osé descendre « jusque dans l’en-bas« , pour rejoindre ce qui est le plus douloureux, le plus blessé, le plus dramatique dans la personne, qui est présent chez presque toute personne, mais que le plus souvent on étouffe.
Un passeur
C’est en écoutant cette sorte de « faim première » qu’il pouvait alors « tracer des chemins absolument neufs, en écoutant une Parole« . Il s’agissait pour lui d’entendre véritablement ce qui se dit dans cette parole, et qui est un don de vie pour les être humains. « Toute sa vie, il a essayé d’être un passeur de l’autre rive, non pas de l’incroyance à la croyance, mais d’une non-vie, ou d’une vie blessée, semi-consciente, d’une vie qui n’est pas don, qui n’est pas bonne – peut-être parce qu’elle a été blessée au départ – vers quelque chose qui est de l’ordre de la liberté, du souffle, de l’espérance, et qui reste éminemment fragile.«
Qu’est-ce qui guidait Maurice Bellet dans son travail d’explorateur de la foi? Maurice Bellet disait souvent qu’il n’avait pas de carte. Myriam Tonus s’en souvient: « Je suis dans le Far West, disait-il, et dans le Far West il n’y avait pas de carte. Et il faut avancer par là. On ne sait pas où on va, mais il faut y aller, avec en même temps une immense fidélité. » C’est un autre point sur lequel insiste l’auteure: jusqu’au bout, Maurice Bellet a dit son attachement à l’Eglise, non pas l’Eglise en tant qu’institution, mais comprise comme « ce qui nous relie entre humains qui entendons une parole« . Il était profondément fidèle à la Tradition, non pas dans le sens d’une répétition, mais comme ce qui est le processus même de la Parole, de ce qu’elle produit, et dont il s’agit de faire en sorte que cela se donne, aujourd’hui, à des êtres humains.
Evoquant encore la personne qu’était Maurice Bellet, Myriam Tonus insiste sur le fait qu’il était extrêmement humble, qu’il n’a jamais voulu prouver quoi que ce soit, et qu’il était toujours très étonné de ce que l’on disait ou écrivait à son sujet. Il ne considérait pas ce qu’il faisait comme un travail. Il vivait ce qu’il écrivait, et n’écrivait pas pour publier des livres. Mais une fois que « la chose était venue à parole« , il aimait la partager.
Propos recueillis par
Christophe HERINCKX
Bibliographie:
La force de vivre, Desclée De Brouwer, 1963
Foi et psychanalyse, Desclée De Brouwer, 1973
Le Dieu pervers, Desclée De Brouwer, 1979
La Voie, Seuil, 1982
Incipit ou le commencement, Desclée De Brouwer, 1992
L’Europe au-delà d’elle-même, Desclée De Brouwer, 1996
L’explosion de la religion, Bayard, 2014