A l’approche des portes de la mort, un nonagénaire refait le monde au rythme de son quotidien. Au-delà des interrogations sur la fin de vie, Lucky est aussi un adieu remarquable à un grand acteur, Harry Dean Stanton, qui a quitté ce monde sur et avec ce film poétique.
Cette semaine, le premier long métrage de John Carroll Lynch risque de passer inaperçu. Pourtant, ce récit de fin de vie, de sortie de ce monde, mérite d’être mis en avant. Lucky est l’histoire d’un vieux cow-boy solitaire qui se rebelle contre tout et surtout contre le temps qui passe. Ses 90 ans passés l’entraînent en fait dans une véritable quête spirituelle et poétique.
Le film se déploie entre deux plans, ceux du départ et du retour d’une tortue, dénommée President Roosevelt, à qui le propriétaire (joué ici par David Lynch!) voudrait léguer ses biens ou du moins, faire en sorte que ceux-ci servent au bien-être de l’animal qui peut vivre jusqu’à cent ans… Et cette tortue donne probablement une indication sur le tempo du film qui est parfois contemplatif , avec une succession de scènes de la vie quotidienne. La vie de Lucky est en effet parfaitement réglée: se réveiller avec de la gymnastique pour entretenir son corps décharné, consommer un verre de lait, fumer, faire des mots croisés et passer ses journées à déambuler dans une petite ville perdue au milieu du désert, au rythme des rencontres dans un bar avec de vieux habitués avec qui il refait le monde.
La performance d’une vie
Jour après jour, le temps du film déploie le temps qui reste à vivre à Lucky. Cet homme ne veut pas entrer dans le cadre des lois et des interdits, et s’en prendra à l’avocat qui flaire la bonne affaire avec le propriétaire de la tortue qu’il se verrait bien arnaquer en douce.
Tout cela semblera bien monotone, inutile et vain au spectateur avide de sensation et d’histoire forte. En réalité, la seule force qu’il recevra ici sera celle de Lucky qui se dresse face à ce monde pour en défier les règles mais aussi pour défier la vie et la mort.
Face à cette mort qui vient, inexorablement, cet homme-là, vétéran de guerre, laisse deviner l’angoisse à défaut de la peur. Il pourra alors chanter en espagnol « Volver Volver » de Fernando Maldonado, a capella. Un pur moment d’émotion qui permettra au spectateur d’être en communion avec lui.
Lucky est magistral pour qui acceptera de se laisser bercer par l’incroyable et lente poésie de ce film. Celui-ci a été tourné en une quinzaine de jours environ, tout près du lieu de vie de son interprète principal, Harry Dean Stanton, pour tenir compte de la fragilité inhérente à son âge et sa santé. La fin de vie de Lucky est donc aussi celle de cet excellent acteur, qui a tourné dans de nombreux films (il avait notamment le rôle principal dans Paris Texas), décédé quelques jours après la fin du tournage, le 15 septembre 2017.
Charles De Clercq – RCF
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