Sur l’île de Robinson


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Sur l’île de Robinson
Par Christophe Herinckx
Publié le - Modifié le
3 min

Le jury Rossel a décerné son prix 2017 à Laurent Demoulin pour "Robinson". L'auteur liégeois qui donne cours de littérature à l'université, signe son premier roman en traitant de l'autisme.

Laurent Demoulin, qui avait publié précédemment des essais et de la poésie, raconte la vie quotidienne d'un père qui prend soin de son fils autiste, prénommé ici Robinson. L'histoire s'avère inspirée de la réalité de ce professeur d'université, spécialiste de littérature qui cite Barthes et Lacan dans plusieurs pages. Mais le prénom du héros oui-autiste (terme que le narrateur utilise pour désigner son jeune garçon) a été modifié et sans doute aussi d'autres aspects familiaux. L'essentiel n'est pas là. En une soixantaine de chapitres, plus ou moins longs, l'auteur fait ressentir les difficultés ainsi que les aspects presque comiques de la vie auprès de cet enfant qui ne communique pas.

Le livre commence par une scène qui pourrait sembler humiliante: le papa accompagne son fils aux toilettes, il le place sur le "trône" tandis que lui se met à ses pieds. "Je suis là à partager son intimité au plus près, en face de lui, quelque peu en contrebas, nos deux visages n'étant séparés que par une dizaine de centimètres d'air urbain et de lumière artificielle." Malgré la simplicité de la situation, le narrateur estime qu'il y a là une vraie communication avec Robinson, s'il arrive à capter son regard.

Laurent Demoulin détaille différentes situations qui tournent toutes autour de son fils. Dans cet ouvrage, on découvre la stratégie menée par le père pour emmener Robinson au supermarché sans que les bouteilles d'huile ne soient renversées dans les rayons, ou encore comment le duo père-fils gère une invitation à une soirée chez des amis… En plein milieu du livre, l'auteur a placé ce qu'il appelle des "injonctions paternelles" à appliquer au jour le jour. Cela consiste essentiellement à "regarder ce qu'il fait", mais aussi à lui retirer des mains ce qui pourrait le blesser, "aller rechercher son jouet préféré en haut de l'armoire", etc. Une sorte de liste à la Prévert.

Dans le détail

Dans les différentes situations rencontrées, l'auteur procède avec minutie. Il consacre par exemple cinq pages à détailler les différents jouets de Robinson, qui ne sont parfois que des pièces détachées d'un autre objet comme le tuyau de l'aspirateur qui amuse beaucoup l'oui-autiste. L'enfant prend chaque pièce en main, le fait toquer sur ses dents avant de le faire s'envoler contre le mur ou sur un meuble. Laurent Demoulin fait vivre la scène tout en expliquant au lecteur à quel point ces gestes n'ont aucun sens pour un non-autiste. L'ironie est encore plus forte chaque fois que le père essaie d'étudier la littérature pendant que Robinson vient l'interrompre par un geste trivial. C'était le cas, par exemple, la veille d'un colloque sur Barthes auquel le narrateur devait intervenir, quand il se retrouve à nettoyer les excréments dispersés par son fils autiste aux quatre coins de sa chambre.

Ce livre "Robinson" méritait d'être récompensé comme il l'est par le prix Victor Rossel, pour faire prendre conscience de cette force d'amour paternel qui ne se traduit pas par des mots mais par des gestes. Publié en octobre 2016, cet ouvrage bénéficie désormais d'une médiatisation plus forte, qui pourrait sensibiliser sur l'abnégation de certains parents qui s'occupent quotidiennement de leurs enfants souffrant de handicaps. Enfin, il faut féliciter Laurent Demoulin d'avoir su réunir dans les mêmes pages l'aspect ordinaire de la vie avec de grandes références littéraires.

Anne-Françoise de BEAUDRAP

Laurent Demoulin, "Robinson". Ed Gallimard, 2016, 231 pages.

Photo: Laurent Demoulin, © Francesca Mantovani - Ed. Gallimard

Catégorie : Culture

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