P. Dall’Oglio: le témoignage d’Eglantine Gabaix-Hialé


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P. Dall’Oglio: le témoignage d’Eglantine Gabaix-Hialé
Par Pierre Granier
Journaliste de CathoBel
Publié le - Modifié le
6 min

Disparu il y a déjà quatre ans, le père Dall'Oglio aura (ou aurait eu), 63 ans ce 17 novembre. Sa mort a souvent été annoncée mais jamais officialisée. Eglantine Gabaix-Hialé (photo avec le Père Dall'Oglio), journaliste, a bien connu ce prêtre "amoureux de l'islam, croyant en Jésus". Elle a été une des dernières personnes à le contacter avant son départ à Raqqa d'où il n'est jamais revenu.

Deux années passées à Mar Mousa (« les plus belles" de sa vie) ont permis à Eglantine Gabaix-Hialé de tisser des liens d’amitié et d’écrire avec Paolo Dall’Oglio deux livres dont « La rage et la lumière », publié en mai 2013. Ce dernier raconte le cri de ce prêtre face au drame syrien en cours. Un cri se terminant par un testament.

- Qu’est-ce qui vous a marqué, attiré chez le Père Paolo ? D'où lui venaient "la rage et la lumière" ?

Sa capacité d’indignation, sa ténacité, à croire et penser (souvent à raison) que tout était possible. S’il voulait quelque chose, il n’y avait pas de raisons qu’il ne l’obtienne pas. Pas pour lui mais pour sa communauté, pour faire vivre le dialogue islamo chrétien, pour obtenir des financements, des rendez-vous avec des responsables musulmans parfois controversés ou plus prosaïquement pour que la cuisine soit propre ou que les chèvres du monastère rentrent dans leur bergerie. Pour cela par exemple, il se mettait à crier, puis sortait toutes les casseroles de la cuisine, en donnait à chaque visiteur, moine, volontaire, tous ceux qui étaient présents, pour les ramener au bercail ! A l’époque (avant la guerre), il y avait alors en lui, une exubérance peut-être tout italienne, de la colère aussi quand les choses n’avançaient pas comme il voulait. Mais la lumière par contre était là, c’était un homme irradiant, très attachant. Fragile peut -être, sensible certainement, ce qui dénotait avec son physique imposant. Un mélange de force et de faiblesse, qu’il avouait d’ailleurs. Je me souviens d’un jour où il avait piqué une colère, sa mère l’a appelé, et d’un seul coup sa voix est devenue douce, tendre, affectueuse. Paolo était un homme franc, trop parfois, contradictoire aussi. C’est le genre de personne qu’on rencontre une seule fois dans sa vie, une personnalité exceptionnelle, qui porte en elle une part et un désir d’absolu. Et c’est cela sans doute ce désir, que je partageais sans savoir vraiment l’exprimer, qui m’a plu. Et qui jusqu’à aujourd’hui me guide encore.

- Paolo vous avait écrit le 27 juillet 2013 avant sa dernière visite à Raqqa que c'était peut- être de la folie. Vous lui aviez répondu par l’affirmative en ajoutant « mais nous avons besoin et de ta folie et de toi vivant »

Oui en effet, c’était notre dernier échange avant sa disparition. Quelques jours plus tôt, de retour du Liban où j’avais rencontré des réfugiés syriens musulmans, je lui avais écrit que ces derniers m’avaient demandé de lui dire qu’il était leur héros. Voici la retranscription des mails :

- Cher Paolo, je t'envoie le bonjour chaleureux des amis de Qousseir. Ils te considèrent comme leur héros ! Je les ai rencontrés dans un camp du Nord Liban. Quand ils ont su que j'avais écrit un livre avec toi, leur amitié m'était tout acquise. J'ai vu des hommes dignes, beaux, prêts à repartir au combat. J'ai vu des enfants lumineux et des visages de femmes tragiques. J'ai senti le combat d'un peuple. J'espère en faire un bel article, même si je sais que ça ne changera pas grand-chose, mais ils m'ont donné envie d'y croire... Où es-tu en ce moment ? Je t'embrasse, Eglantine
- Eglantine ma douce, j'ai les yeux mouillés à lire ton mail ... Je suis à Gaziantep .... Demain tôt, je pars pour Raqqa ... c'est peut-être la folie. Je dois essayer une médiation ..."Pense" pour moi. Paolo
- Cher Paolo, oui, c'est de la folie de partir pour Raqqa, mais nous avons besoin de ta folie, mais de toi aussi vivant. Je pense à toi comme jamais. Eglantine
- Au revoir ! P.

- Cette guerre était pour Paolo, disiez-vous, une blessure intime …

Oui, il avait donné sa vie, son énergie à rebâtir ce monastère, y faire vivre le dialogue islamo-chrétien, faire reconnaître cette communauté par le Vatican, essayer diplomatiquement d’influer sur cette dictature. Au monastère, nous accueillions souvent des anciens prisonniers parfois pour des raisons futiles alors que des agents du régime étaient présents pratiquement en permanence (incognito évidemment, des gens proches avec qui nous travaillions tous les jours). Le récit des tortures dans les prisons, évoqués à demi-mots, le mettait hors de lui. Pour avoir eu l’occasion de retranscrire un de leurs témoignages, c’était effectivement, de l’ordre de la barbarie pure. Au début de la guerre, de la révolution pacifiste pour être plus juste, qui s’est transformée en carnage, Paolo a cru pouvoir être médiateur. Pendant un an, il a essayé de proposer une voie de sortie. Mais devant la cruauté du régime qui tirait à bout portant sur son peuple, torturait des enfants, il a pris des positions plus radicales et fut expulsé de Syrie en 2012. Il y est revenu deux fois clandestinement pour négocier la libération d’otages.

- Qu'est-ce qui a donc poussé le prêtre à aller se jeter dans la gueule du loup en allant voir les chefs de Daech, dont on connaissait la cruauté ?

Paolo a toujours cru au dialogue : tant qu’on a un homme en face, on peut discuter. Lorsque Paolo a voulu rencontrer l’émir, l’Etat islamique n’avait pas encore été autoproclamé, la nouvelle terreur ne faisait que commencer. Pour Paolo, fin connaisseur de l’Islam, il n’y avait pas de raison qu’il ne puisse pas discuter avec eux ! Comme il y était parvenu avec d’autres groupes islamistes radicaux, obtenant la libération d’otages. Peut-être a-t-il été naïf, je ne sais pas. Par contre, lors de l’écriture de notre dernier livre, il avait voulu faire un testament. Ne voyant plus d’issue, aurait-il choisi de se jeter dans la gueule du loup ? Sa rage aurait-elle dépassé sa lumière ?

Béatrice Petit

photo: Le père dall'Oglio en compagnie d'Eglantine Gabaix-Hialé © Cécile Massie

Le témoignage de Yahia, un étudiant musulman sauvé par Paolo

Aux premières heures de la révolution syrienne, le jeune Yahia H. avait commis pour seul crime de crier «Huriya (liberté) ». Après un mois d’emprisonnement, Yahia se voyait pointé du doigt, rejeté, poursuivi, harcelé et cherchait à fuir le pays lorsqu’il a entendu parler du Père Paolo Dall’Oglio. Il s’est immédiatement rendu au monastère et lui a demandé ce qu’il y faisait.
Avec un sourire, le prêtre a répondu : « je suis ici pour rencontrer les autres et pour les aider à se rencontrer ». Yahia a alors demandé de pouvoir séjourner un mois et lui a raconté son histoire, la prison les tortures, les menace car il était toujours recherché.
Paolo l’a pris dans ses bras, le serrant contre lui : « mon fils tu es ici chez toi et tu restes autant de temps que tu le souhaites. Ta vie m’est aussi chère que la mienne ».
« J’ai trouvé en Paolo un père, et dans sa communauté, une famille, raconte Yahia. Avec lui je n’ai jamais souffert de la différence de croyance. Paolo est hors normes, sa foi, sa religion s’impriment d’abord dans sa manière d’être et de vivre ». Plus tard, le prêtre, qui est aussi docteur honoris causa de l’UCL, se battra pour aider Yahia à prendre la route de l’exil, à trouver une famille d’accueil en Belgique et à décrocher un visa humanitaire.

Béatrice Petit

Lire également le reportage dans le Dimanche n° 41 daté du 19 novembre 2017


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