Les défis éthiques posés par l’expansion de l’Intelligence artificielle au sein de la société ont été au cœur d’une conférence du ‘Parvis des gentils’ à Rome. Avec cette perspective de l’Homo sapiens risquant de devoir laisser la place à la Machina sapiens?
Dans son encyclique Laudato si’, considérée comme une pierre d’angle pour les réflexions actuelles autour de l’écologie humaine et du progrès technique, le pape François écrit qu’ « il n’est pas possible de freiner la créativité humaine. En même temps, précise-t-il, on ne peut pas cesser de préciser toujours davantage les objectifs, les effets, le contexte et les limites éthiques de cette activité humaine qui est une forme de pouvoir comportant de hauts risques ». Ces risques ont été au centre de son récent discours pour les 25 ans du Comité national italien pour la biosécurité, les biotechnologies et les sciences de la vie, en avril dernier. Au cours de celui-ci il a exprimé la crainte que les citoyens et ceux qui les gouvernent « ne perçoivent pas pleinement la gravité des défis qui se présentent, la complexité des problèmes à résoudre et le danger de mal utiliser la puissance que les sciences et les technologies de la vie placent entre nos mains« .
Une mise en garde qui n’est pas restée lettre morte puisque le Parvis des gentils – structure du Conseil pontifical pour la culture destinée à promouvoir le dialogue entre croyants et non-croyants – a peu après convoqué un séminaire. Ce dernier s’est tenu en juillet, à l’ambassade italienne près le Saint-Siège, dans le but de discuter plus avant des défis éthiques que pose à la société l’avancée rapide des nouvelles technologies, que l’on peut intégrer au concept plus général d’Intelligence artificielle (IA). Existe-t-il une différence insurmontable entre intelligence humaine et IA? L’intelligence humaine peut-elle se renforcer et s’améliorer par le biais de l’IA en demeurant envers et contre tout humaine? L’Homo sapiens est-il destiné à n’être qu’un bref interlude entre animalité et IA, pour aboutir à la Machina sapiens?
Autant de questions que les trois principaux intervenants ont tour à tour explorées, suivant leur domaine d’expertise. Le philosophe Luciano Floridi, professeur à l’université d’Oxford et considéré comme l’un des plus grands experts actuels en IA, a décrit les impacts concrets que l’IA devrait avoir sur la vie quotidienne d’ici les prochaines années, plaidant en faveur d’une Intelligence principalement ‘sociale’. « Les bénéfices futurs, a-t-il déclaré, toucheront tout le monde et c’est la raison pour laquelle la société doit aujourd’hui prendre en charge les coûts immédiats » en introduisant notamment un revenu de base pour les emplois qui seront supprimés. C’est l’athéisme qui représente selon lui l’un des plus grands dangers de cette révolution: le fait de se sentir reconnaissant envers une force supérieure est une nécessité sans laquelle l’homme est constamment tenté de se mettre au centre de l’univers, avec les risques que l’on connaît pour la nature et la conception de la vie humaine.
Des propos que ne contredira pas le père Paolo Benanti, professeur de théologie à l’Université pontificale grégorienne (voir ci-dessous). Ce dernier a pour sa part énoncé les facultés dont les robots doivent être dotés pour interagir avec l’homme sans risquer de lui nuire: l’intuition, l’intelligibilité pour l’homme, l’adaptabilité aux personnes ainsi qu’aux situations diverses. Il préconise à cet effet la création d’algorithmes de contrôle indépendants.
C’est enfin sur la crise du système politique que le juriste Sebastiano Maffettone, professeur à la Luiss Guido Carli, a concentré sa réflexion. Les structures politiques, souvent dépassées par la complexité des technologies d’information et de communication, gagnent à devenir plus « isomorphes à cet univers » qui influe considérablement sur notre identité collective. C’est selon lui le meilleur moyen de répondre aux populismes et à « l’ère post-vérité« .
Solène TADIÉ,
Correspondante à Rome