A Namur, le Père Arturo Sosa Abascal, le jésuite vénézuélien qui est à la tête de la Compagnie de Jésus depuis presqu’un an, a révélé un paradoxe : "Le nombre de jésuites peut diminuer mais entretemps, les œuvres et les activités de la famille ignatienne ne font que croître."
Et pour le Père Supérieur Général, "Cela indique que nous sommes en train d’apprendre à collaborer davantage entre nous et avec nos partenaires, sans dépendre du nombre des jésuites. Notre mission est en effet plus grande que la Compagnie", a-t-il expliqué lors d’un point presse à Namur, à l'occasion de la présentation de la nouvelle Province jésuite pour l’Europe Occidentale Francophone. "Bien que nous gardons évidemment nos enracinements dans des lieux particuliers, nous devons toujours être disponibles pour l’universel."
"Personne n’est entré dans telle ou telle province de la Compagnie ; tout jésuite est entré dans la ‘petite Compagnie de Jésus’ ", a ajouté le Père Sosa en se servant de la formule chère à saint Ignace de Loyola dont nous célébrons la fête ce 31 juillet.
Hier-soir, lors d’une eucharistie célébrée dans l’ancienne église jésuite Saint Loup à Namur, la Compagnie de Jésus a créé sa nouvelle Province d’Europe Occidentale Francophone (OEF). Deux des concélébrants étaient donc les derniers Provinciaux de leurs Provinces respectives, le Père Jean-Yves Grenet (pour la France) et le Père Franck Janin (pour la Belgique Méridionale et du Luxembourg).
Partage des ressources
La nouvelle Province de la Compagnie de Jésus rassemble en effet une quarantaine de communautés jésuites réparties dans ces deux anciennes Provinces ainsi que les communautés francophones à Athènes et aux Îles Maurice et de la Réunion. "Le nombre diminuant de jésuites a certainement eu un poids dans cette décision, mais il n’en est pas la raison principale", insiste le Père Général Supérieur. "La Compagnie revoit son organisation depuis trente ans en fonction de deux principes majeurs. Premièrement, il s’agit de garantir la fluidité de la communication entre nos forces sur le terrain et la tête de la Compagnie, afin d’élaborer ensemble une vision globale pour un monde globalisé."
Mais c'est surtout le deuxième principe qui préoccupe le Père Sosa : le partage des ressources. "En tant que non Européen, je suis particulièrement reconnaissant à l’Europe. Quand ce continent avait beaucoup de vocations, les jésuites venus d’Europe ont fondé la Compagnie chez nous en Amérique Latine, en Afrique et en Asie. Aujourd’hui, l’Europe demeure extrêmement importante pour la formation de nos jésuites. La tradition intellectuelle et éducative européenne – à laquelle nos réseaux ignatiens participent largement – est une ressource fondamentale pour le monde entier. Notre planification régionale plutôt que nationale sert à renforcer ce genre de réseaux."
Importance des laïcs
"Par ailleurs, personne n’avale l’autre dans ce rapprochement ", précise François Boëdec, le Breton installé hier comme premier Provincial de la nouvelle Province d’Europe Occidentale Francophone (OEF) et de ces 532 Jésuites, dont 40 en formation. "Ce qui compte dans la Compagnie, c’est son corps universel et sa mission pour l’Église et l’humanité. Évidemment, ce rapprochement peut sembler difficile par moments, mais c’est une chance aussi de pouvoir accueillir ce que chacun apporte et de pouvoir s’enrichir mutuellement. Tisser davantage ces liens et en faire un nouveau corps relié à la mission de la Compagnie, sera mon premier défi, avant de lancer de nouvelles initiatives."
Il était par ailleurs étonnant que deux tiers des participants à la rencontre namuroise du weekend étaient non jésuites : religieuses, collaborateurs et amis de la famille ignatienne. Le Père Sosa suggère de ne plus parler de collaborateurs mais de partenaires pour souligner l’importance des laïcs. "Par rapport aux relations avec les laïcs, il n’y a pas débat au sein de la Compagnie : nous voulons rendre réel le modèle du Concile du Vatican d’une Église-Peuple de Dieu avec les laïcs au centre de la vie de l’Église. Il s’agit donc d’augmenter la visibilité des laïcs et de garantir que les hommes et femmes consacrés demeurent au service du Peuple de Dieu."
"La suggestion de parler de partenariat est intéressante", dit le Père Boëdec, "pour indiquer un niveau d’égalité parmi le grand nombre de personnes qui ont été formées par spiritualité ignatienne. L’image de ‘puissance’ des Jésuites diminue, mais cela nous permet de vivre davantage notre fragilité dans le service et de partager plus clairement la force qui nous habite de l’intérieur." Le Père Supérieur continue dans le même sens : "Aujourd’hui, être chrétien est devenue un choix personnel – le fruit d’une décision consciente – et je crois que c’est mieux comme ça. Les Exercices Spirituels de saint Ignace nous aident à accompagner ce processus de décision libre. Évangéliser, c’est ni obliger ni imposer, c’est proposer ! "
Benoit LANNOO
Photo: Le Père François Boëdec aux côtés du Père Général, Arturo Sosa Abascal (à gauche) et du P. Victor Assouad, conseiller général pour l'assistance de l'