« Il existe un chemin pour chacun. » Telle est la conviction à l’origine du livre 40 missionnaires pour une génération. Leurs auteurs, Eric Denimal et Mariette Levaye-Gries, y présentent des personnalités aussi diverses qu’atypiques pour mettre en lumière un monde méconnu, sujet à confusion, et proposer à chacun une manière adaptée de servir le Christ.
Eric Denimal est journaliste et protestant. Il est notamment l’auteur du best-seller La Bible pour les Nuls. Mariette Levaye-Gries, occupe le poste de secrétaire générale des Œuvres pontificales missionnaires Missio Luxembourg. Ils reviennent ensemble sur leur expérience, dans cet entretien réalisé en marge de l’Audience du pape François à qui ils ont remis le fruit de leur travail.
Quelle est la genèse du projet?
Mariette Levaye-Gries: Le chanteur et écrivain Grégory Turpin, que j’ai connu à travers les Œuvres pontificales missionnaires à Paris, m’a un jour parlé de l’ouvrage 40 prophètes pour une génération (éditions Première Partie, 2013) et m’a proposé d’écrire la suite, 40 missionnaires pour une génération. Il se trouve que j’ai vécu en Afrique durant six ans et j’ai beaucoup voyagé. J’ai aimé l’idée de pouvoir parler autrement de la mission, en allant à la recherche de ces 40 personnes, mais je n’ai pas le don de l’écriture, c’est donc là qu’Eric Denimal est intervenu…
Selon quels critères avez-vous sélectionné ces personnes?
MLG: Ce sont principalement des personnes que j’ai rencontrées tout au long de mon parcours de missionnaire et qui m’ont marquée, d’autres m’ont été recommandées par les missionnaires sélectionnés.
Eric Denimal: Nous avons également veillé à dénicher différentes catégories de personnes pour couvrir toutes sortes de témoignages. Il s’agissait de rassembler un large panel de personnes, jeunes, âgées, hommes et femmes, laïcs et religieux, provenant de différents pays et régions. L’idée était de proposer au lecteur des pistes, notamment aux jeunes qui se demandent comment s’engager et servir, même lorsqu’ils n’entendent pas entrer dans les ordres. Notre objectif était de montrer les différents types de services possibles, avec l’espoir de susciter des curiosités, et peut-être même des vocations.
MLG: Il faut ajouter que le terme de missionnaire aujourd’hui est souvent mal compris, il évoque une chose d’un autre temps, il y a même l’idée sous-jacente du colonisateur. Ce projet nous offre une occasion de retrouver le vrai sens de la mission et du missionnaire.
Pensez-vous que le contexte soit favorable, notamment parmi les jeunes?
ED: Les jeunes qui ont la foi aujourd’hui l’ont de façon tout à fait nouvelle, il ne s’agit pas uniquement d’héritage, de transmission familiale, le jeune qui s’engage a une vraie démarche personnelle. Il a tendance à chercher une cohérence entre sa foi et sa vie quotidienne.
MLG: Je constate effectivement un réveil, que les gens ont davantage envie de se donner.
Comment avez-vous mis à profit l’œcuménisme dans votre travail commun?
ED: Notre œcuménisme s’insère précisément dans la dimension missionnaire, dans la propagation de la foi. C’est sur ce terrain que nous pouvons trouver des passerelles intéressantes, plus que par la théologie, qui est nécessaire, mais qui a parfois pour effet de nous monter les uns contre les autres. Notre priorité est celle d’annoncer le message du Christ et le champ est tellement immense que nous n’y parviendrons pas seuls!
Quelles sont les personnalités qui vous ont le plus inspirés?
ED: Nous avons des profils très variés et intéressants, mais celui qui m’a particulièrement touché est l’aumônier de prison, qui raconte par exemple qu’il a été confronté à des personnes extrêmement violentes, qui avaient tué plusieurs personnes et avec qui il était enfermé dans la cellule pour discuter. Quand un homme ayant tué trois personnes s’est écroulé en demandant pardon, l’aumônier s’est demandé s’il était possible de pardonner un tel acte. L’aumônier a alors à son tour été visité par Dieu, car Dieu lui dit: « Oui, le pardon existe pour ces personnes puisque je t’ai envoyé dans cette cellule. » Il dit avoir découvert qu’aussi loin qu’un homme pouvait aller dans le mal, Dieu était capable d’envoyer quelqu’un pour lui pardonner. J’ai trouvé cela absolument fantastique.
MLG: Je pense pour ma part à Mgr Kouassivi Vieira, évêque de Djougou, au Bénin. Je l’ai connu à son arrivée dans ce pays où je vivais et il m’a toujours fascinée. Il est du Sud du Bénin, qui est extrêmement différent du Nord. C’est pourquoi il a décidé de se rendre au Nord dans un village à 80% musulman et d’y être missionnaire. J’ai aussi été très marquée par cette maman de huit enfants qui a adopté un enfant trisomique et qui a eu un vrai chemin de guérison. Elle a eu une vie très éprouvante, elle se définissait comme « une avortée de la vie » car elle savait qu’elle n’avait pas été voulue. Donc, c’était vraiment un défi pour elle de devenir mère et une mère aimante. Pour nous, ce type d’engagement est aussi une mission.
Vous avez inséré des réalités bien hétérogènes dans votre champ d’étude…
MLG: Je pense qu’aujourd’hui la mission est vraiment ici et là-bas. Il ne s’agit pas que de personnes qui partent loin pour rencontrer beaucoup de monde. L’idée était de dire que nous n’avons pas forcément besoin d’être évêque ou religieux, mais que nous pouvons tous donner quelque chose au monde. En Europe par exemple, il nous faut être missionnaires dans nos paroisses, car nous n’avons plus assez de prêtres, on oublie que l’Europe a aussi beaucoup à recevoir des autres continents, des Eglises jeunes.
Eric Denimal, en tant que protestant, comment avez-vous vécu ce projet, dont les protagonistes sont presque tous catholiques?
J’ai été impressionné de découvrir des engagements et des expressions de foi aussi riches que dans le milieu qui est le mien. Parfois, le vocabulaire change un peu, mais derrière cela, il y a les mêmes vérités. Ce qui m’a le plus saisi a été l’engagement, la gratuité, l’humilité et surtout l’obéissance, une chose que les protestants ne connaissent pas trop… Les catholiques vont voir leur évêque pour savoir s’il est bon de faire ceci ou cela, ils recherchent une caution. Cette dimension d’obéissance m’a fait du bien, tout comme le fait de constater qu’autant de gens avaient la foi chez les catholiques. Quand on est ‘frères séparés’, on a tendance à croire que l’on est mieux placé que les autres. Or, on a vraiment beaucoup de choses à apprendre de ces missionnaires catholiques.
Quelle conclusion tirez-vous de votre expérience?
ED: J’ai trouvé très intéressant d’entendre la foi vécue de l’intérieur, par des gens qui n’avaient pas de langue de bois, qui n’ont pas hésité à nous faire part de leurs difficultés. J’ai du reste veillé à toujours conserver le ton de chaque personne, de façon à ce que transparaisse sa véritable personnalité. Nous avons été clairs avec nos témoins: il ne s’agissait pas de brosser un tableau idyllique car il faut que le lecteur mesure le poids de l’engagement et le sacrifice qu’implique la mission. Parfois, cela ne donne pas de résultats très visibles, mais comme le disent les Evangiles, il suffit d’une personne sauvée pour que tous les anges du ciel se réjouissent.
MLG: Je trouve aussi les témoins profondément humains. Ce sont des personnes qui ont traversé des épreuves, qui ont dû faire des choix importants. Ce sont souvent des humains blessés mais réconciliés et ancrés dans le Christ.
Propos recueillis par Solène TADIÉ
40 missionnaires pour une génération, Eric Denimal et Mariette Levaye-Gries, éditions Première Partie, 2017,
256 pages – Préface du père René-Luc.