Il y a cinquante ans, la Belgique catholique perdait l’une de ses grandes figures du XXe siècle: Joseph Cardijn. Le prêtre des travailleurs, fondateur de la JOC (Jeunesse ouvrière chrétienne) aura aussi été l’inspirateur des organisations sociales chrétiennes. Un hommage lui a été rendu le 1er mai, jour de la fête du travail.
Joseph Cardijn a incontestablement été l’un des principaux acteurs de l’engagement social de l’Eglise catholique romaine au début du XXe siècle. Et si l’on devait résumer son œuvre en quelques mots, il faudrait citer cette phrase, « Le jeune travailleur, la jeune travailleuse, vaut plus que tout l’or du monde car il/elle est fils/fille de Dieu« , et une méthode: le fameux Voir-Juger-Agir.
Les raisons d’un tel engagement remontent à ses origines. Né à Schaerbeek en 1882, dans une famille modeste, le jeune Cardijn découvre le quotidien des ouvriers et ouvrières qui défilent devant la maison familiale pour se rendre à l’usine. Il est en particulier marqué par leur entrée précoce dans le monde du travail et par la dureté de leurs conditions de vie et de travail. Si bien que quand il parle de sa vocation sacerdotale à ses parents, à l’âge de douze ans, lors de sa communion, il prend soin de leur préciser son intention de devenir prêtre… des travailleurs, surtout des jeunes. Une parole qui deviendra même une promesse, quelques années plus tard, alors qu’il est séminariste, face au lit de mort de son père. Le futur prêtre fait alors le serment de consacrer sa vie au service de la justice sociale.
Quand Joseph Cardijn est ordonné prêtre, le 22 septembre 1906, la situation dramatique des travailleurs en particulier des jeunes est toujours sa première préoccupation. Il comprend que les systèmes d’assistance au monde du travail ne sont que des palliatifs, que l’Eglise n’est pas présente aux côtés des ouvriers et que l’encyclique sociale Rerum Novarum de 1891 n’est pas mise en pratique.
L’éducation, l’enjeu majeur
Il constate aussi que la tâche d’éducation est un enjeu majeur pour la responsabilisation des ouvriers « entre eux, par eux, pour eux » pour riposter face aux excès du capitalisme: pas d’action sans éducation des masses et de leurs élites. Former des acteurs est fondamental. Mais selon lui, le point de départ essentiel de la vraie formation, c’est la vie… à transformer grâce à la méthode Voir-Juger-Agir. Il adoptera cette méthode simple et originale dès 1912 avec sa première équipe de jeunes ouvriers, alors qu’il est vicaire dans la paroisse de Laeken, en banlieue bruxelloise. Il les aide alors à réfléchir sur leur vie ouvrière et à voir comment, ensemble, ils peuvent améliorer leurs conditions.
Une telle méthode était « révolutionnaire par rapport à la méthode déductive qui part de la théorie pour déboucher sur l’action« , indiquait en septembre dernier Mgr Delville, lors d’une intervention à la JOCI (Jeunesse ouvrière chrétienne internationale). Et l’évêque de Liège, historien et grand spécialiste de la question ouvrière en Belgique ainsi que de la doctrine sociale de l’Eglise, d’expliquer ladite méthode: « Elle part des constatations du terrain (le Voir), elle analyse ces situations à la lumière de l’Evangile, de la vie de Jésus et d’instruments de travail social (le Juger), puis elle débouche sur l’action (l’Agir). » Une méthode communautaire qui, outre le fait d’aboutir progressivement à une conscience claire et une conviction, permet également l’amitié et la solidarité dans l’action.
Sur la base de cette méthode, d’autres groupes vont se multiplier et donner naissance, en 1925, à la JOC (Jeunesse ouvrière chrétienne rebaptisée aujourd’hui en Belgique Jeunes organisés et combatifs!). Le mouvement de réflexion, formation et action catholique milite dès lors pour une plus grande justice sociale, basée sur le respect de la dignité de chaque personne dans l’esprit du Christ à la lumière de l’Evangile.
Mais l’engagement pour la justice sociale n’est pas bien vu par les dominants de l’époque. Ce qui vaudra à Cardijn de connaître la prison durant les deux guerres mondiales.
Dimension planétaire
Après la Seconde Guerre mondiale et jusqu’à sa mort, son combat prend une dimension planétaire. Dès 1952, les problèmes des travailleurs du monde entier deviennent sa préoccupation essentielle. Il effectuera une vingtaine de voyages internationaux, en particulier vers les pays du Sud où l’injustice s’abat sur des populations qui souffrent de surcroît des régimes dictatoriaux et des conditions de travail souvent très pénibles sans aucune sécurité sociale. « Il est convaincu que l’heure approche où la classe ouvrière du monde devra choisir l’union entre les travailleurs du monde entier contre ceux qui les exploitent et veulent les mettre en concurrence« , rappelle Mgr Delville. S’ajoutera plus tard, la prise de conscience des problèmes écologiques et climatiques qui ne font qu’aggraver et mettre en danger ces populations défavorisées.
Ainsi, tant en Belgique que dans près de nonante autres pays, Joseph Cardijn a éclairé le parcours de milliers de jeunes. Il deviendra ainsi l’un des leaders de l’Eglise engagée en monde ouvrier et de l’apostolat laïc à l’échelle mondiale. Ce qui lui vaudra d’être créé cardinal par le pape Paul VI, en février 1965. Il déclare alors: « Mon diocèse, c’est la jeunesse travailleuse du monde! »
« Cardijn avait compris l’importance de la jeunesse comme acteur de changement« , relève encore Mgr Delville qui ajoute qu’une telle conviction est fondamentale aujourd’hui plus que jamais, dans un monde qui change beaucoup avec l’apparition des technologies nouvelles.
Les dernières années de la vie de cet homme, à la fois très concret et mystique, ont été consacrées à suivre un peu partout dans le monde l’évolution de la JOC.
Joseph Cardijn meurt en juillet 1967. Il repose aujourd’hui dans une travée de l’église Notre-Dame de Laeken. Là-même où une cérémonie lui a rendu hommage ce 1er mai.
P.G.