La résurrection de la chair


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La résurrection de la chair
Easter spring flower background; fresh flower and yellow butterfly on green background
Par Christophe Herinckx
Publié le - Modifié le
7 min

A Pâques, nous célébrons la résurrection du Christ, qui annonce notre propre résurrection. Le "Symbole des apôtres" parle de résurrection de la chair, précision qui nous est difficile à comprendre. Elle résume pourtant toute l’originalité de la conception chrétienne du salut, et de la vie après la mort.

Je crois… en la résurrection de la chair". Cette proclamation, qui résonne étrangement à nos oreilles modernes, est l’avant-dernier article du "Symbole des apôtres", plus ancienne profession de foi connue dans l’Eglise. Remontant probablement au IIe siècle, elle est donc antérieure au credo de Nicée-Constantinople (325 et 381), qui parle de "résurrection des morts".

Cette mention de la résurrection de la chair, pour insolite qu’elle paraît, est cependant loin d’être anecdotique. Au contraire, elle exprime l’un des aspects les plus originaux et les plus irréductibles de notre foi chrétienne. Dès les premières décennies qui suivront la proclamation de la Bonne Nouvelle, aux débuts de l’Eglise, la foi en la résurrection de la chair aura d’ailleurs valeur de test pour distinguer ceux qui adhèrent à la foi chrétienne, telle que reçue des apôtres, et ceux qui, malgré la reprise d’un vocabulaire chrétien qui commence à se forger, réinterprètent la révélation biblique à l’aune de la pensée gnostique. Cette dernière consistait en un syncrétisme d’origine oriental, à la mode dans le bassin méditerranéen au Ier siècle, et qui n’a pas grand’chose à voir avec le Dieu et l’homme décrits dans la Bible.

La chair dans la Bible

Pour comprendre la résurrection de la chair, il est important de comprendre d’abord ce que signifie la chair dans l’Ancien et le Nouveau Testaments.

Dans la Bible hébraïque, la notion de chair, en hébreu basar, exprime avant tout la condition corporelle de l’homme, c’est-à-dire l’homme en tant qu’il est un corps, et, en tant que tel, marqué par la faiblesse, ses propres limites, à la fois physiques et morales, son imperfection, bref, par sa finitude. Par extension, la chair désignera, très vite, l’homme en tant qu’être "naturel", pris dans ses différentes dimensions: corporéité, mais aussi sensibilité, intelligence, volonté, tous ces aspects étant marqués par la finitude. Cette notion de basar se distingue de la nepesh, que l’on peut traduire par "esprit", qui définit l’homme en tant que créature spirituelle, capable d’entrer en relation avec Dieu.

Cela dit, il est essentiel de comprendre que, pour l’Ancien Testament, la chair et l’esprit ne sont pas des réalités séparées, encore moins opposées. Ce ne sont pas deux substances, qui existeraient en elles-mêmes dans un premier temps, et qui auraient ensuite été réunies pour le plus grand malheur de l’homme. Telle était la conception du philosophe Platon (Ve siècle avant J.-C.) qui considérait que l’âme préexiste à la vie terrestre, et que, dans un processus de déchéance, elle est ensuite tombée dans la matière, dans un corps, qui la maintient prisonnière, qui l’empêche d’atteindre la sagesse, et dont il faut par conséquent se libérer.

Cette conception a largement influencé la conception de l’homme en Occident, jusqu’au philosophe Descartes. Celui-ci considérait qu’il y a deux substances séparées en l’homme: l’esprit et la matière. Or, cette idée a aussi fortement dominé la pensée moderne, depuis le XVIIe siècle jusqu’à la fin du XXe siècle. Pour la Bible, par contre, il n’y a pas "deux substances" en l’homme. Celui-ci est tout entier corps, et tout entier esprit. Pour le dire autrement: il est, d’emblée, un corps animé, ou un esprit incarné, ces deux expressions désignant exactement la même réalité.

Dans l’Ancien, puis le Nouveau testament, comme en témoignent les réflexions de saint Paul sur la chair (sarx en grec), celle-ci désigne donc l’homme dans sa finitude, alors que l’esprit désigne l’homme en tant qu’il est capable de Dieu. Cependant, en se détournant de Dieu, l’être humain se coupe de sa source spirituelle et, en cédant à la tentation du mal, il n’est plus qu’une chair abandonnée à elle-même, sa finitude devenant ainsi la porte d’entrée du péché.

Cette conception transparaît dans les paroles du Christ à Gethsemani, lorsqu’il dit:"Veillez et priez afin de ne pas tomber au pouvoir de la tentation, car l’esprit est plein d’ardeur, mais la chair est faible" (Mt. 26, 41). Cependant, encore une fois, la finitude, ou la chair, n’est pas identique au péché. Quant au péché, s’il est lié à la chair, ce n’est pas au sens de la seule "corporéité", encore moins de la seule sexualité, mais au sens de l’homme tout entier, corps, sensibilité et intelligence, en tant qu’il est marqué par sa finitude coupée de Dieu.

Le Verbe s’est fait chair

Si c’est dans la chair, dans la faiblesse de sa finitude, que l’homme s’est éloigné de Dieu, c’est aussi dans la chair, celle du Christ, qu’il va être réconcilié avec Dieu. "Et le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous", écrit l’évangile de Jean (Jn. 1, 14). En devenant un homme comme nous, en "revêtant notre chair", non pas comme un vêtement provisoire, mais pour toujours, le Fils de Dieu prend sur lui notre finitude, pour en faire le lieu où Dieu pourra, à nouveau, établir sa demeure au cœur de l’humanité.

En partageant tous les aspects de notre vie, y compris la plus matérielle, en s’offrant lui-même dans son corps, sur la croix, en mourant et en ressuscitant dans sa chair, Jésus réalise notre destinée humaine, telle que voulue par Dieu: notre chair est transfigurée, de l’intérieur, par l’Esprit de Dieu; elle devient le lieu de la présence permanente de Dieu; notre chair est entièrement spiritualisée, elle est devenue pleinement esprit.

Le fait que nous sommes sauvés dans la chair du Christ est exprimé de façon particulièrement forte dans cette autre parole de Jésus, telle que la rapporte saint Jean: "Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle, et moi, je le ressusciterai au dernier jour" (Jn 6, 54). En accueillant le Christ dans son humanité, c’est Dieu lui-même que nous accueillons au coeur de nos vies, dans sa réalité la plus spirituelle. Et ce, particulièrement, mais non exclusivement, dans la communion eucharistique.

Notre propre résurrection

Lorsque le Christ ressuscite selon la chair, il ne s’agit pas d’une "réanimation" de son corps, mais d’un accomplissement de son humanité, de sa finitude en tant qu’homme, grâce à une transfiguration de tout son être par l’Esprit saint.

Or, c’est également cette résurrection qui nous attend, à la fin des temps. Un aspect de la foi catholique confesse que, après notre mort, notre esprit, notre dimension la plus spirituelle, s’ouvre déjà à la plénitude de la présence de Dieu. Mais un autre aspect de cette même foi proclame que c’est tout notre être, dans toutes ses dimensions, qui est appelé à un accomplissement en Dieu. Tout ce que nous sommes, notre corps, notre affectivité, notre intelligence, notre volonté, et donc aussi ce que nous désirons au plus profond de nous, est appelé à trouver son accomplissement en Dieu. En d’autres termes, tout ce qui a été créé par Dieu, et qui est bon, est appelé à ressusciter en Dieu.

Cette conception, on le comprend dès lors, s’éloigne assez fortement des spiritualités et sagesses orientales, notamment l’hindouisme ou le bouddhisme, considérant que l’homme doit se détacher de ses désirs, de son corps, qui sont, fondamentalement, des entraves à sa libération spirituelle. Dans le cadre de la spiritualité chrétienne, le corps, la matière sont bons, et sont appelés, encore une fois, à s’accomplir en Dieu. On comprend alors aussi pourquoi l’idée de réincarnation n’a guère de sens dans la compréhension chrétienne de l’après-mort.

Cela dit, comment notre propre résurrection se passera-t-elle? Un texte de saint Paul est, à cet égard, très évocateur – on ne peut d’ailleurs qu’évoquer cette réalité. Partant de la comparaison entre une semence et la plante qui va en naître, il écrit: "Il en est ainsi pour la résurrection des morts: semé corruptible, on ressuscite incorruptible; semé méprisable, on ressuscite dans la gloire; semé corps animal, on ressuscite corps spirituel" (1 Co. 15, 42-44).

Christophe HERINCKX


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