Sir Michael Edwards – De l’obligation de la joie


Partager
Sir Michael Edwards – De l’obligation de la joie
Par La rédaction
Publié le - Modifié le
4 min

Poète anglais et premier Britannique à avoir été élu à l’Académie française, en 2013, Sir Michael Edwards passe sa vie entre la France et l’Angleterre. Il a récemment fait escale à Bruxelles, en tant qu’invité des Grandes Conférences Catholiques pour y parler de la joie.

Sir Michael Edwards et la langue française, c’est une histoire d’amour qui a commencé lorsque ce spécialiste de Shakespeare avait onze ans. "Déjà à cet âge-là, le français avait ce pouvoir d’émerveillement sur moi. J’ai rapidement découvert un autre monde et pas simplement une autre façon de parler", explique-t-il. Lors de ses études universitaires à Cambridge, il fera d’ailleurs sa thèse sur Racine. Aujourd’hui marié à une Française, il a choisi d’écrire pour l’essentiel en français.

On dit de vous que vous avez littéralement creusé un tunnel inédit entre le français et l’anglais. Cela représente combien d’années de travail?

Surtout de nombreuses années de comparaison entre les deux langues. Lorsque l’on compare la langue française et la langue anglaise, et encore davantage les deux littératures, on ne le fait pas de l’intérieur. On n’est pas forcément un spécialiste qui navigue avec la même aisance dans les deux langues. En ce qui me concerne, je ne me permets pas d’en juger. Je suis d’origine britannique mais j’ai suffisamment navigué au cœur de la littérature anglaise, en écrivant des poèmes, des livres de prose. Il me semble que j’ai participé à la construction de ce tunnel. J’aime passionnément ces deux langues et c’est ma vie.


De 2000 à 2001, vous avez été professeur associé au Collège de France en tant que titulaire de la Chaire européenne. Quelle est la particularité de cette institution?

Le Collège de France est très spécial. Ce n’est pas une université. C’est, si je puis dire, au-dessus de l’université. Nous n’y nommons pas simplement des spécialistes de telle ou telle matière. Ceux-ci créent leur propre discipline ou leur propre perspective. Lorsque l’on est enseignant au Collège de France, il y a une énorme contrainte d’originalité et, à la fois, on est libre. J’avais une Chaire où il était question de littérature anglaise et surtout de création littéraire mais il nous arrivait de parler de musique.


Votre leçon inaugurale au Collège de France a été consacrée au fameux vers d’Hamlet: "To be or not to be, that is the question." En quoi peut-il nous aider aujourd’hui?

C’est un vers curieux, plus Grand que l’Univers. Lorsque l’on lit le monologue d’Hamlet, cet élargissement de la vie, ce sentiment tout d’un coup d’être dans un univers infini, immense, que procure ce petit vers, se dissipe parce que dans le reste du monologue Hamlet se demande "au fond faut-il se suicider ou non?" Evidemment, je réduis tout cela un peu mais, tout d’un coup, on n’est plus dans ce monde ouvert de "to be or not to be". Shakespeare va, selon moi, au-delà de la langue. "To be", c’est trop Grand pour nous. C’est comme s’il voulait nous faire dire par Hamlet qu’il a vu un petit peu au-delà de la vie. Ce que Hamlet exprime, c’est précisément, l’inexprimable. Celui-ci, comme l’émerveillement, nous trouble.

En 2008 justement, vous publiez "De l’émerveillement". Vous nous invitez à penser que l’émerveillement n’est pas le propre des enfants, des ingénus. Selon vous, il n y a rien de plus adulte, de plus sérieux…

J’ai toujours été frappé par le fait que je suis moi-même émerveillé. En traduisant le mot anglais "wonder" en français, au lieu de dire "s’émerveiller", on dit "s’étonner". Baudelaire, un poète admirable qui nous dépasse tous, nous parle d’étonnement. Cela m’a mis la puce à l’oreille. Il y a quelque chose qui nous résiste dans ce mot. L’émerveillement nous désarçonne. Nous ne sommes pas maître de nous-même lorsque nous nous émerveillons. Je suis heureux de savoir qu’en anglais "I wonder" peut signifier "je m’émerveille… d’un ciel nocturne, d’un beau paysage" mais aussi "je me demande" "I wonder if it will rain tomorrow". Autrement dit, on passe du sublime au quotidien. C’est un peu comme si la langue anglaise nous avait fait un cadeau en nous apprenant que dans l’émerveillement, il y a toujours un questionnement. Cela nous fait pénétrer dans l’étrange, dans cette autre dimension d’un monde qui nous dépasse et qui, pour moi, est la dimension chrétienne. (...)

Propos recueillis par Brigitte ULLENS - RCF

> Lire la suite de cet article dans le journal Dimanche n°10 du 12 mars 2017 - S'abonner à Dimanche

Catégorie : L'actu

Dans la même catégorie