La semaine dernière a été marquée par les commémorations des attentats de Bruxelles et de Zaventem. Si de telles célébrations sont nécessaires, on peut légitimement se demander pourquoi elles ont débuté plusieurs semaines avant le 22 mars. Bien entendu, rendre hommage est essentiel afin de poursuivre un patient travail de deuil. Toutefois, certaines personnes touchées par ces événements tragiques ont souligné leur besoin de silence et pointé une forme d’excès de commémorations. En effet, se souvenir consiste à relire de manière non douloureuse le passé pour ce qu’il est. A l’inverse, ressasser le passé revient au contraire à subir encore sa douleur au présent. Or, l’ironie du sort a voulu que le jour du 22 mars, une attaque terroriste frappe le cœur de Londres. S’est insinué chez certains une forme de peur et de défaitisme: le sentiment cyclique d’une horreur qui revient nous visiter. Car lorsque le passé douloureux refait surface – et que le présent ravive en même temps une histoire blessée- le fatalisme n’est pas loin de s’ériger en loi.
Dans un tout autre registre de commémoration, nous avons célébré les 60 ans du Traité de Rome. Celui-ci a marqué la création du processus de construction de l’Europe, suite à l’échec de la communauté européenne de la défense (CED). A l’heure où le projet européen est menacé et les eurosceptiques de plus en plus nombreux, cette commémoration a été entourée d’une certaine amertume, comme si l’intuition première et les idéaux s’étaient évaporés avec le temps.
Notre monde vit une profonde contradiction. D’un côté, le rejet du passé – plus jamais cela! – découle de l’espérance d’un progrès. D’un autre côté, la conviction d’un manque d’avenir – à l’image du projet européen – procède inversement d’un refus du progrès. Ne sommes-nous pas en train d’entrer dans une vision du temps davantage cyclique? L’éternel retour des épreuves?
Et voilà que l’Evangile ouvre une brèche en ce temps de Carême. En effet, la parole « Lazare est mort! » précède « Déliez-le et laissez-le aller. » C’est comme si notre monde devait se délier d’un passé toujours ressassé pour oser croire un temps orienté. Un avenir délié est possible. Un meilleur vivre ensemble est possible pour celui qui y croit. Voilà pourquoi notre culture occidentale a un rapport complexe à la nouveauté. Au lieu de faire mémoire, elle ressasse souvent le passé par incapacité à ouvrir un futur. L’histoire de Lazare nous invite à ne pas faire resurgir le passé. Elle introduit une rupture. Elle fait un deuil, certes, mais permet une ouverture, un avenir délié.
Didier CROONENBERGHS
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