Pendant un an, Thierry Michel et Pascal Colson ont posé leur caméra dans une classe de l’école communale de Cheratte. Leur documentaire est actuellement sur les écrans. Retour sur cette immersion avec quelques élèves, Madame Brigitte et le réalisateur.
«Quand madame nous disait que Thierry et Pascal allaient venir, on se dépêchaient bien vite de ranger la classe!» Voilà un des souvenirs qui ont marqué Dilay, une des élèves de la classe de sixième primaire de Madame Waroquier, ou plutôt «Madame Brigitte», une institutrice de l'école primaire communale de Cheratte-Bas dans l'entité de Visé. Mais pourquoi un long métrage sur une classe d'école primaire par deux co-réalisateurs plus habitués à réaliser des documentaires sur des sujets de société en Belgique, en Afrique ou au Brésil?
Tout a commencé un peu par hasard il y a un peu plus d'un an...
Une rencontre devant le charbonnage, un déclic
Thierry Michel, le réalisateur de «l'homme qui répare les femmes» est en repérages à Cheratte-Bas, il s'intéresse à ce vestige de l'archéologie industrielle de la province de Liège.
Il croise une institutrice et ses 16 petits élèves de la classe commune des cinquième et sixième primaires de l'école communale située juste en face. Les enfants sont curieux, ils posent des tas de questions à Thierry, Madame Brigitte les encourage, tout en les canalisant avec gentillesse, lui, leur demande si des membres de leur famille ont travaillé à la mine. Il découvre que presque tous sont petits-enfants de mineurs, turcs pour la plupart, et que madame Waroquier a eu leurs parents, leurs oncles et tantes comme élèves.
Le déclic est immédiat: Thierry va se fondre parmi les élèves et l'institutrice, et c'est sur leur quotidien, leurs questionnements, leurs doutes, leurs peines, leurs joies, leur apprentissage de la vie que portera son documentaire. Et à travers eux sur le travail fourni par une institutrice à la motivation inébranlable.
Très vite, il fera appel à Pascal Colson pour co-réaliser le long métrage avec lui, la merveilleuse aventure commence.
Une complicité mutuelle, des relations privilégiées
«Ils venaient au moins deux fois par mois!» Le jeune Sefa a raison, «au moins», car c'est une bonne quarantaine de visites que les réalisateurs vont effectuer sur place, et pas seulement: ils se sont joints aux enfants lors des classes vertes ou des excursions. En totale immersion.
Des relations privilégiées se sont nouées, dans une totale confiance réciproque. Thierry et Pascal ont parfois reçu des confidences «je pouvais dire des trucs à Thierry parce qu'il a des petits-enfants, alors il me comprend, mais ne dites pas que c'est moi vous ai dit ça, je serais gênée!» confie une petite élève avec le visage d'un smiley qui rougit.
Sila, la petite fille à la longue chevelure bouclée en vélo à l'avant-plan sur l'affiche, s'est découvert une passion «je regardais la caméra de Pascal, alors il m'a expliqué comment ça marchait, et j'ai même pu filmer mes amis. J'aimerais bien faire ce métier-là plus tard». Les réalisateurs aussi ont appris beaucoup au contact des enfants, comme Thierry qui a participé à une mémorable partie de kicker «je lui ai mis sa raclée, je l'ai battu 11 à 2! C'est quand il veut pour la revanche!» raconte fièrement Mohamed Ali du haut de ses 11 ans, alors que Thierry n'est pas présent. Ce dernier précisera cependant que le score réel était de 11-9 sourire bienveillant mais pris au jeu...
Madame Brigitte, la preuve que des enseignants ont encore le feu sacré
Il y a une trentaine d'années, Madame Waroquier était bien loin d'imaginer qu'un intérim allait se transformer en une carrière presque complète à Cheratte! D'abord engagée pour quelques mois, un autre intérim a suivi puis un autre, et encore un autre, car elle remplaçait une enseignante qui, elle, n'était pas motivée et profitait largement du système. C'est donc tout naturellement que le directeur de l'époque lui a confié les rênes d'une classe de cette petite école qui n'en compte que trois, chacune en réunissant deux. Comme vous avez eu raison, monsieur le directeur!
«Brigitte, c'est l'autorité bienveillante, même avec nous!» Cette constatation émane de Thierry et montre bien qu'elle ne considère pas «ses» enfants comme des bébés. Elle aborde avec eux des sujets d'actualité, comme les attentats de Paris ou de Bruxelles, la condition des femmes musulmanes, le problème des réfugiés entre autres. Elle leur parle sans langue de bois et sans discours à la guimauve, et surtout, elle ne leur impose pas SA vision des choses. Non, elle les questionne, elle les laisse s'exprimer, donner leur avis, avec leurs mots à eux, leurs questions, leurs suggestions. Et toujours en se mettant à leur niveau, avec des mots et des formulations qu'ils comprennent, en leur suggérant des pistes, jamais en leur imposant ses propres vues.
Et tout est sujet à apprendre, avec elle! Le film a été présenté en avant-première dans plusieurs villes wallonnes, voilà une façon ludique de réviser la géographie! Elle a entouré les villes sur une carte, et les enfants ont donné les noms des provinces. Le cinéma Churchill à Liège programme le documentaire pendant un mois: les élèves entourent sur le programme les différentes séances, font le relevé des jours où il est projeté, et développent ainsi leur sens de l'observation en suivant les consignes de madame Brigitte.
«Je n'ai pas à me forcer et je ne joue pas un rôle», dit-elle, «je suis simplement moi-même, comme je le serais avec mes propres enfants». Elle joue cependant un rôle merveilleux: celui de préparer des enfants dits «en discrimination positive» à aborder le monde des adultes avec le meilleur bagage possible, et croyez qu'elle y parvient avec brio! Bravo et merci, madame.
«Des gens disent que c'est encore un film sur les Turcs et les immigrés, mais qu'ils viennent d'abord voir le film avant de rouspéter!» Du haut de ses 12 ans, Dilay s'insurge contre les idées reçues et montre bien que le film est tout sauf un documentaire de plus sur l'intégration, c'est plein de fraîcheur et d'enseignements, et qui aura laissé des traces parmi les protagonistes. Le jour où il est revenu à l'école pour le tournage d'une séquence des Niouzz dans Ouftivi, Thierry Michel confie «ça me manque de ne plus les voir aussi souvent!» et les enfants de répliquer «on a eu bon toutes les fois où vous êtes venus, quelle équipe hein!»
Texte et photos: Philippe Baldelli
Le film est actuellement à l'affiche au cinéma Churchill à Liège, et dans diverses villes de la Fédération Wallonie-Bruxelles. La programmation est à découvrir sur le site des Films de la Passerelle