
Jan De Volder remet un exemplaire de son livre au pape François lors du 30e anniversaire d’Assise. © Marco Pavani/Sant’Egidio
Il y a deux mois, en France, le Père Hamel était assassiné à la fin d’une célébration matinale dans son église de Saint-Etienne-du-Rouvray. L’anversois Jan De Volder, membre de Sant’Egidio et spécialiste du dialogue interreligieux, analyse l’impact du martyre de ce 26 juillet 2016.
Comme beaucoup, Jan De Volder a été choqué par ce qui s’est passé ce matin-là. Outre l’horreur du crime en lui-même, la personnalité même de la victime, son âge, le déroulement des faits qui n’a laissé aucune chance au prêtre, le lieu assez peu prévisible… ont accentué le sentiment de sidération. Dès le lendemain, le titulaire du cours « Religion, Conflit et Paix » à la KUL écrivait dans De Morgen: « L’offensive européenne de l’Etat islamique atteint une dimension supplémentaire. Pour la première fois en Europe, il vise spécifiquement une cible chrétienne. »
Très vite, Jan De Volder a mesuré l’impact de cet attentat dans le monde catholique et plus largement. « Même des Cubains m’ont parlé du Père Hamel!« , se rappelle-t-il. Impressionné par la réaction de l’Eglise catholique de France, certes choquée mais qui n’appelait aucunement à la vengeance, l’écrivain veut, par son dernier ouvrage, prendre du recul pour tirer les leçons de ce « Martyre du Père Hamel ».
Pourquoi vous êtes-vous lancé si vite dans l’écriture du livre?
Ce qui se passait fin juillet me posait question. Le Père Hamel n’est malheureusement pas la première victime du terrorisme. En dehors de l’Europe, les chrétiens ont longtemps été visés par la violence djihadiste: les églises, les évêques et les prêtres, les croyants en Syrie, en Egypte, au Pakistan, au Nigeria, en Turquie et ailleurs. Je n’oublie pas les deux évêques de l’Eglise syrienne orthodoxe d’Alep, Mar Gregorios et Paul Yazigi que je connais personnellement, dont on n’a plus de nouvelles depuis leur enlèvement en 2013. La violence terroriste a aussi sévi il y a une vingtaine d’années en Algérie, avec l’enlèvement et le meurtre des moines de Tibhirine, et celui de Pierre Claverie.
J’ai croisé ou rencontré beaucoup de ces martyrs dans ma vie. Souvent, les martyres se déroulent loin, au Salvador, en Syrie ou en Algérie. Ici, ça s’est déroulé en périphérie de Rouen, presqu’à côté de chez nous. Ce prêtre et les religieuses qui étaient présentes ce jour-là dans l’église, me font penser à ces arbres majestueux qui, par leurs racines, maintiennent la terre et empêchent l’érosion. Les mots du pape François au sujet du père Hamel m’ont frappé: « Que cet exemple de courage, de se vider de soi-même pour aider les autres, de faire de la fraternité entre les hommes, nous aide tous à aller de l’avant sans peur. »
Pourquoi les croyants sont-ils autant remués dans leurs convictions par l’assassinat du père Hamel?
Pour beaucoup de prêtres et de laïcs, l’évènement de Saint-Etienne-du-Rouvray pose la question: jusqu’où suis-je prêt à aller? Si on veut vraiment imiter Jésus-Christ, mort sur la Croix, nous devons être prêts au don de soi. Bien sûr, d’abord donner de son vivant, son temps et son argent. Quand un chrétien va jusqu’au bout de ce don, comme le père Hamel, de l’au-delà il peut voir que sa vie appartient à l’Eglise et à l’humanité toute entière. Un sacré paradoxe pour ce prêtre de 85 ans qui ne cherchait pas la lumière!
Ce don ultime devrait nous secouer dans notre façon assez confortable d’être chrétien. Le christianisme est un choix sérieux, qui ne consiste pas seulement à aller une fois de temps en temps à la messe. Puisqu’il s’agit de suivre l’exemple du Christ, jusqu’où est-on prêt à aller par amour? Les chrétiens engagés dans la foi devraient être prêts à donner leur vie pour cela.
Dans ses derniers mots, le père Hamel a crié « Arrière Satan!« . Son martyre peut nous interpeller sur la manière dont le Mal agit: il trouve des hommes et des femmes par lesquels il œuvre sur terre. Si l’amour de Dieu et des autres est plus fort, alors le Mal ne prendra pas le dessus. Le père Hamel en a été un exemple, il a d’abord lutté contre lui-même, pour pouvoir agir ensuite pour ses paroissiens et ceux qui sont dans le besoin.
Dans vos recherches, vous montrez que le Père Jacques Hamel s’inscrivait dans l’esprit d’Assise.
Ce prêtre qui vivait dans l’esprit du concile Vatican II faisait effectivement partie d’un comité interreligieux avec le recteur de la mosquée. Une mosquée pour laquelle l’église voisine, Staine Thérèse, a cédé un terrain, ce qui montre effectivement la bonne entente entre catholiques et musulmans. C’est vraiment une démarche de paix comme celle lancée il y a 30 ans à Assise.
Rappelons l’histoire: en octobre 1986, le pape Jean Paul II avait réuni les chefs des églises chrétiennes et des grandes religions mondiales dans ce haut lieu d’Italie, dans une démarche de paix. Cette rencontre matérialisait la volonté de l’Eglise catholique de dialoguer avec les autres grandes traditions religieuses, dans la lignée de la déclaration Nostra Aetate du concile Vatican II. A l’époque, cela a suscité de nombreuses critiques suggérant que le pape avait ‘vendu’ la foi catholique.
Et pourtant, le dialogue entre croyants de différentes religions ne consiste pas à se soumettre aux convictions des autres. Au contraire, chaque partie doit s’affirmer avec force, tout en gardant ouverte la porte du dialogue. Quand je prends le temps de dialoguer avec mes amis musulmans, par exemple, je ne peux être convaincant que si je suis dans la bonne voie. Mes amis savent en quoi je crois, qui je suis et le respectent.
Pour en revenir à Saint-Etienne-du- Rouvray, la démarche interreligieuse vers la recherche de la paix est tellement installée que la mosquée était en deuil après la mort de Jacques Hamel. Les musulmans étaient aussi invités à rendre visite aux catholiques dans les églises. Le dimanche suivant, fidèles et « visiteurs » étaient rassemblés dans une belle démarche de respect.
Propos recueillis par Anne-Françoise de Beaudrap