« Verdun est une ville qui représente à la fois le pire, là où l’Europe s’est perdue il y a cent ans, et aussi le meilleur, là où la ville a été capable de s’investir, de s’unir pour la paix et l’amitié franco-allemande. Vive l’amitié, l’esprit de Verdun », a dit en ce jour de commémoration du centenaire, le président Hollande.
Verdun – c’est une bataille au corps-à-corps, des mois durant, qui fit 300.000 victimes. Avertissement, qui n’empêchera pas une autre guerre, bien plus meurtrière encore.
Verdun – c’est l’ossuaire de Douaumont, où reposent mélangés les os de soldats français et allemands. Annonce de la grande réconciliation européenne.
Verdun – c’est la victoire de Pétain, excellent soldat, mais pessimiste invétéré, se méfiant du parlementarisme. Alter-ego des néo-populistes, qui partout fleurissent et prospèrent.
Cette semaine, je participais à une journée de réflexion sur l’avenir de l’Europe, rassemblant patrons et syndicalistes, politiciens et journalistes, diplomates et fonctionnaires. Sans oublier un représentant du culte principal en Belgique (votre serviteur) et un autre, de la laïcité philosophique.
L’inquiétude est généralisée. Chez certains, elle confine à la sidération, devant une Union européenne qui semble rater tous ses rendez-vous avec l’histoire, comme pour entrer en hibernation.
Le constat est unanime: Sans une politique budgétaire des institutions européennes, investissant massivement dans les grand défis de l’avenir: la transition énergétique, les infrastructures et la solidarité – la politique de création monétaire de la Banque centrale européenne, ne pourra rien contre la morosité économique, entraînant la paupérisation et le rejet du politique.
Un des participants, europhile patenté et fin connaisseur des institutions bruxelloises, déclara: «Depuis peu, je pense que – sauf miracle – nous nous acheminons vers le naufrage de l’Union européenne.»
Esprit de Verdun, es-tu là?
Le surlendemain, je croise un sympathique marchand d’art d’une station balnéaire bien en vue. Il me glisse en boutade, en évoquant ses clients fortunés: «Parfois, je me dis: Pour vendre cette pièce, il va falloir augmenter le prix.» Une heure plus tard, j’ai au téléphone une amie en pleurs. Sa société de nettoyage a fait faillite. Elle n’a pas droit au chômage et ne sait comment payer son logement social. L’Europe des inégalités grandissantes…
Esprit de Verdun, es-tu là?
Il y a une semaine, je croise le commandant militaire de Liège. La conversation se porte sur la présence de ses hommes dans les prisons, pour remplacer les gardiens en grève depuis des semaines.
Il me dit: « Il faut espérer que soit trouvée au plus vite une solution à ce conflit social, qui crée tant de situations douloureuses. Mais je suis fier de voir de jeunes sous-lieutenants assumer en ce lieu de grandes responsabilités. Pour eux et leurs hommes, c’est une occasion de servir et de grandir en maturité. »
A ce moment, je sens qu’il est pourtant bien là, l’esprit de Verdun.
Le 19 septembre 1946, c’est dans un continent en ruines qu’un homme traça à Zurich, les lignes du destin européen: « Ce continent magnifique, qui comprend les parties les plus belles et les plus civilisées de la terre, qui a un climat tempéré et agréable et qui est la patrie de tous les grands peuples apparentés du monde occidental. L’Europe est aussi le berceau du christianisme et de la morale chrétienne. Elle est à l’origine de la plus grande partie de la culture, des arts, de la philosophie et de la science du passé et du présent. Si l’Europe pouvait s’unir pour jouir de cet héritage commun, il n’y aurait pas de limite à son bonheur, à sa prospérité, à sa gloire, dont jouiraient ses 300 ou 400 millions d’habitants. En revanche, c’est aussi d’Europe qu’est partie cette série de guerres nationalistes épouvantables (…) Ces horreurs, Messieurs, peuvent encore se répéter. Mais il y a un remède (…) Il consiste à reconstituer la famille européenne, ou tout au moins la plus grande partie possible de la famille européenne, puis de dresser un cadre de telle manière qu’elle puisse se développer dans la paix, la sécurité et la liberté. Nous devons ériger quelque chose comme les Etats-Unis d’Europe. (…) J’en viens maintenant à une déclaration qui va vous étonner. Le premier pas vers une nouvelle formation de la famille européenne doit consister à faire de la France et de l’Allemagne des partenaires. (…) Mais j’aimerais lancer un avertissement. Nous n’avons pas beaucoup de temps devant nous. Nous vivons aujourd’hui un moment de répit. Les canons ont cessé de cracher la mitraille et le combat a pris fin, mais les dangers n’ont pas disparu. Si nous voulons créer les Etats-Unis d’Europe, ou quelque nom qu’on leur donne, il nous faut commencer maintenant. »
Cet homme s’appelait Winston Churchill.
Ce n’était pas un politicien sans failles et n’ayant jamais commis d’erreurs. Mais avec son excellent sens de l’histoire, porté par une puissante intelligence émotionnelle, le vieux guerrier avait parfaitement saisi… l’esprit de Verdun.
Chanoine Eric de Beukelaer