L’appel à l’aide d’un aumônier de prison au Roi de Belgique


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L’appel à l’aide d’un aumônier de prison au Roi de Belgique
Par Pierre Granier
Journaliste de CathoBel
Publié le - Modifié le
5 min

Prison-greveDans une Carte blanche, Philippe Landenne, aumônier de prison et Membre du Conseil Central de Surveillance Pénitentiaire réagit à la crise qui affecte les prisons depuis trois semaines. Il souhaite un geste fort du Souverain afin de restaurer la confiance et rappeler les valeurs de l’Etat de Droit.

 

"En conscience, j’éprouve la nécessité de risquer un appel à l’aide face à la démesure insoutenable des conséquences de l’interminable grève qui se déroule au sein des établissements pénitentiaires à Bruxelles et dans la région francophone du pays.

Durant ma longue carrière d’aumônier de prison, j’ai été confronté en première ligne à bien des conflits sociaux derrière les murs et je peux témoigner fermement que l’addition cachée des peines endurées par les détenus est incalculable: ils se trouvent littéralement aspirés par le tourbillon vertigineux d’une dramatique dégradation de leurs conditions de détention durant les grèves des agents pénitentiaires. L’épreuve est également insoutenable pour leurs familles rongées par l’inquiétude en ces circonstances dramatiques. Je m’étais imaginé que les morts de Michaël (brûlé vif dans sa cellule alors que son aile de la prison était totalement désertée) et de Mehmet (pendu dans sa cellule après d’interminables appels à l’aide restés sans réponse) lors de la grève tragique à la prison d’Andenne en 2003 auraient suscité l’indispensable prise de responsabilité pour que plus jamais de tels abandons humains n’adviennent au sein de nos établissements pénitentiaires.

Circulant de prison en prison en tant que Membre du Conseil Central de Surveillance Pénitentiaire, je me retrouve aujourd’hui encore confronté, impuissant, au spectacle hallucinant d’un monde chaotique où des milliers de détenus sont abandonnés dans une précarité indigne et étouffent dans l’attente interminable de pouvoir respirer quelques moments hors de la promiscuité insupportable de leurs cellules. Le dévouement héroïque des directeurs de prisons soutenus par quelques membres de personnel non-grévistes pour sauvegarder le minimum du minimum ne peut plus durer indéfiniment: ils sont au bord de l’épuisement à force de se démultiplier pour permettre occasionnellement une douche, un téléphone, un changement de linge, voire même organiser de temps en temps un préau ou une visite malgré l’absence totale de sécurité; cellules pulvérisées, début d’incendies, canalisations d’eau arrachées, détenus prostrés, crises d’angoisse ou explosions de colère, ils travaillent dans un contexte indescriptible. Heureusement, quelques gestes d’attention et des mots délicats de nombreux détenus qui reconnaissent leur incroyable engagement sont pour eux des signes d’encouragement.

Face à cette situation honteuse pour notre Royaume, j’ose imaginer que le Souverain puisse poser un geste fort qui pourrait restaurer quelque peu la confiance et rappeler les valeurs de l’Etat de Droit que devrait rester notre pays. Dans un esprit de Justice réparatrice, je me permets de suggérer la possibilité de prendre un Arrêté Royal de grâce collective annonçant une remise de peine d’un mois pour tous les détenus ayant été victimes de cette violation de leurs droits élémentaires durant ce conflit social.

Je suis convaincu que cette initiative de la part du Roi aurait une portée symbolique vraiment significative. Elle manifesterait d’abord clairement que la souffrance injustifiée dont les détenus et leurs familles ont été victimes en l’absence de tout régime minimum a été reconnue et entendue par le souverain qui représente la communauté humaine de notre pays, communauté dans laquelle les personnes incarcérées seront invitées prochainement à retrouver une place.

La portée pédagogique d’une telle mesure me semblerait aussi essentielle. Le Roi pourrait ainsi manifester que personne n’est au-dessus des lois dans notre Etat de Droit. La norme la plus significative de notre Etat de Droit est certainement la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme. Celle-ci exprime de la manière la plus solennelle les valeurs du Vivre Ensemble sur lesquelles nous voulons bâtir notre société. La Belgique peut-elle, telle une récidiviste, malgré les recommandations répétitives du CPT, se soustraire à l’obligation de respecter l’article 3 de cette Convention en laissant se dégrader dramatiquement les conditions de détention des personnes humaines incarcérées à chaque conflit social dans le monde pénitentiaire? En posant un geste de «réparation» vis-à-vis des détenus affectés par les conséquences de cette grève, l’Etat deviendrait par ailleurs plus crédible quand il invite les condamnés à indemniser les victimes des actes qu’ils ont commis.

Dans le marasme indescriptible de nos cellulaires à l’abandon, il est aujourd’hui bien difficile pour les détenus de croire encore que notre Système de Justice reste fiable et les sentiments de désespoir et de haine se côtoient dangereusement. La violence est toujours le bruit que fait une souffrance qui n’est pas entendue. En arrêtant une mesure de grâce en ces circonstances exceptionnelles, le Souverain poserait un geste significatif d’attention et d’apaisement face à cette dégradation indigne des conditions de détentions. Cette initiative royale, par ailleurs, faciliterait certainement la reprise du travail pour les agents grévistes qui devront reprendre leur service sur un terrain encore plus difficile.

L’Institution de la prison reste malheureusement une Institution maltraitante pour toutes celles et tous ceux qui sont exposés au quotidien de ce lieu où on administre de la peine. «Vous n’avez aucune influence sur les personnes qui ressentent le mépris que vous affichez à leur égard», disait Martin Luther King. Par cette possible initiative gracieuse, le Roi Philippe pourrait nous aider en ouvrant un espace de respect vraiment indispensable à la survie des personnes qui vivent et travaillent à l’ombre du Royaume."

P.L.

Note: Je me permets de mentionner le livre «Peines en Prison; L’addition cachée» que j’ai publié aux éditions Larcier (collection Crimen). La lecture du chapitre «Grève Funeste» (p.71-103), où j’ai tenté de décrire le déroulement heure par heure de la dramatique grève d’Andenne en 2003, peut donner un reflet tristement objectif de ce qui se déroule aujourd’hui encore dans nos prisons.

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