Dans une opinion parue dans « Le Vif/L’Express », le président de « Jong VLD » (« Jeune VLD ») dénonce ce qu’il appelle un « régime d’apartheid religieux », à l’occasion des nouvelles mesures annonnées dans l’enseignement des religions en Flandre. La solution qu’il préconise: moins de religion dans l’enseignement. Mais l’enseignement de la religion ne doit-il pas permettre, justement, d’ouvrir l’élève croyant à une pratique religieuse respectueuse de la citoyenneté?
Dans sa réflexion, parue ce lundi 9 mai, Maurits Vande Reyde part d’une décision toute récente, prise au niveau de l’enseignement catholique en Flandre: dorénavant, les religions non chrétiennes pourront également être enseignées dans les écoles catholiques. Ce qui pose problème au président du « Jong VLD », c’est que cette ouverture cacherait, en fait, ce qu’il appelle un « véritable régime d’apartheid religieux« , vu « la façon dont les jeunes apprennent à gérer les questions existentielles à l’école: chacun sa clique, chacun sa vérité« .
Toujours selon le jeune responsable politique, la situation serait encore plus « absurde » dans l’enseignement officiel flamand, où les élèves subiraient une sorte de ségrégation religieuse dès leur plus jeune âge, sur base de leur répartition dans les différents cours de religion. De cette façon, la religion deviendrait « quelque chose de spécial, de séparé et d’intouchable. Pire encore: un ordre supérieur qui deviendrait une partie irrévocable de notre identité« .
Et c’est cela, pour Maurits Vande Reyde, qui poserait véritablement problème: cette sorte de respect déplacé pour une identité, religieuse en l’occurrence, qu’on ne pourrait questionner, ni mettre en perspective d’aucune manière. « Les cours de religion parlent d’identité« , écrit-il. Or, « l’enseignement a le devoir de former les élèves le mieux possible sur ce qui fait l’homme et la société d’aujourd’hui« , mais « partir de la religion » serait selon lui « le pire choix que l’on puisse faire » dans cette optique.
Contre le privilège d’exception
Pour l’auteur de cette opinion, la conclusion est claire: tous les problèmes liés à la religion au sein de la société viennent, en germe, de ce statut d’exception des religions dans l’enseignement. A la suite de « ce privilège d’exception, la lutte contre la radicalisation par exemple est perdue d’avance« . « Je peux me tromper« , ajoute-t-il, « mais notre propre enseignement est peut-être encore le lieu le plus évident pour préciser ce qu’est la religion: un petit courant dans la grande rivière de la société, et non l’axe centrifuge des choses« .
Revendiquer une exception religieuse, c’est un peu, pour M. Vande Reyde, « comme si on choisissait d’aborder les cours d’histoire, de néerlandais et d’esthétique depuis une perspective matérialiste, rationnelle ou postmoderne« , perspective qui serait revendiquée et non objet de débat ou de discussion. Or, c’est bien ce que l’on ferait lorsqu’il s’agit d’identité, ce qui serait « contraire à la tâche de l’enseignement qui consiste à élever les jeunes en citoyens critiques« .
Quelle solution adopter alors? Pour Maurits Vande Reyde, il faut moins de religion à l’école. Mais il exprime également une position qui nous semble volontairement contradictoire: d’une part, il faudrait « ne pas pousser tout ce qui a trait à la religion et à la philosophie dans un cours« , mais d’autre part, « y accorder plus d’attention dans les cours d’histoire, de néerlandais, de géographie, de mathématiques et de biologie« . Ainsi, la philosophie ne serait pas une discipline séparée.
Moins de religion, ou de la religion intégrée?
Bref, il ne faudrait pas aborder la religion comme une « matière scolaire » à part entière, encore moins aborder les autres matières à partir de l’identité religieuse, mais diluer la religion dans d’autres aspects, à la façon d’un phénomène à réduire au maximum dans le cadre de ces autres matières.
Avant de réagir à cette analyse et à ces propositions de solution, remarquons encore ceci. La réflexion de l’auteur a pour titre: « La religion ne mérite pas d’exception (et certainement pas dans l’enseignement) ». Comme nous l’avons vu, le problème, pour Maurits Vande Reyde, est effectivement que l’on considère la religion comme un sujet à part, dans le cadre de l’enseignement en communauté flamande. La religion ne serait donc pas soumise aux mêmes règles pédagogiques que les autres cours. Pourquoi? Parce que les religions procéderaient d’une identité, pour ainsi dire valable en soi, non discutable, irrationnelle de surcroît. Elles ne pourraient donc, par définition, faire l’objet d’aucune prise de distance critique dans le chef de l’élève – voire de l’enseignant de la religion.
En Fédération Wallonie-Bruxelles, comme on le sait, la rentrée scolaire prochaine verra… l’entrée officielle du cours de citoyenneté dans les écoles du réseau communautaire. Il s’agira, si les parents le souhaitent, de prévoir l’inscription de leur enfant à une heure de religion par semaine, à côté du cours de citoyenneté, d’une heure par semaine également. Dans le cas contraire, une deuxième heure de citoyenneté sera au programme. Le propos de Rudy Demotte, ministre-président de la Fédération Wallonie-Bruxelles, il y a quelques jours, encourageait les parents à préférer la deuxième possibilité, par souci de « cohérence » et de « facilité »…
Bref, à Bruxelles et en Wallonie aussi, des appels se font entendre en faveur d’une marginalisation de plus en plus grande de la religion dans l’enseignement.
Mais est-ce la solution, à l’heure où il nous faut lutter contre toute forme de radicalisme religieux, en particulier auprès des jeunes?
Selon nous, la proposition défendue par Maurits Vande Reyde, en l’occurrence, risque d’aggraver les choses, plutôt que d’apporter des solutions aux défauts actuels de notre vivre ensemble. La religion vue comme une exception intouchable est-elle un problème? Oui, effectivement, mais ce « statut » n’est pas d’abord le fait des religions elles-mêmes, ou plus exactement des communautés et des responsables religieux, mais bien le fruit d’une certaine conception exclusive de la laïcité, ou de la « neutralité ». Plus précisément, le fait de considérer la religion comme une « exception », comme quelque chose qui est et doit rester « à part », vient de ce que l’on ne souhaite pas intégrer l’identité religieuse ou philosophique, quelle qu’elle soit, dans le vivre ensemble, dans le vécu citoyen.
A partir de cette forme subtile, mais bien réelle il nous semble, de marginalisation, il n’est pas étonnant que certains éléments d’une communauté religieuse donnée puissent effectivement concevoir et vivre leur identité religieuse « contre » l’ensemble de la société.
Soyons clairs: le pluralisme religieux, présupposant la neutralité de l’Etat (ou la « laïcité » de l’Etat, à condition que l’on définisse clairement ce qu’elle est, et ce qu’elle ne devrait pas être…), est une condition indispensable d’un vivre ensemble démocratique. Mais ce pluralisme ne doit-il pas autoriser une participation effective des croyants, en tant que tels, au vivre ensemble? Ne peut-on pas devenir un bon citoyen à partir de son identité religieuse, Et, réciproquement, un bon croyant en étant pleinement citoyen?
Contrairement à ce qu’exprime l’auteur de l’opinion rapportée, l’identité religieuse ne nous semble pas être un problème en soi. Elle le devient lorsqu’elle se vit comme une identité fermée, non critiquable et non discutable. Or, le cours de religion n’est-il pas un lieu privilégié pour faire dialoguer identité religieuse et appartenance citoyenne, entre autres choses? Dans l’enseignement de la religion catholique, tel qu’il est conçu et mis en oeuvre dans le réseau libre, catholique, en Fédération Wallonie-Bruxelles, c’est bien heureusement le plus souvent ce qui se passe.
L’identité est alors décloisonnée en même temps qu’approfondie, et peut être intégrée à une vision citoyenne, et réciproquement. N’est-ce pas là une opportunité pour lutter contre le radicalisme, évoqué par Maurits Vande Reyde? La suppression, ou la marginalisation du cours de religion, ne risque-t-elle pas, justement, de favoriser un dangereux repli identitaire?
Christophe Herinckx