
Père Charles Delhez
Il y a plus de violence dans la Bible que dans le Coran", titrait récemment un magazine. Je n’ai pas vérifié! Sans doute, les paraboles de Jésus ou le livre de l’Apocalypse contiennent-ils certaines scènes violentes (mais pour illustrer quoi?). Paradoxalement, cependant, cela me rassure. L’Histoire sainte s’enracine dans un monde réel et non pas angélique. Sans quoi, elle ne nous concernerait pas. A l’époque, la violence était – et elle l’est encore aujourd’hui – omniprésente. Les cours d’histoire de notre enfance nous l’ont appris.
La Bible est précisément un chemin de sortie de la violence. Il faudra près de deux mille ans, d’Abraham à Jésus et ses disciples, pour découvrir que seule une autre voie est porteuse d’avenir. Pâques célèbre la "victoire" d’un crucifié qui a refusé de se battre. Lui qui proclamait "Heureux les artisans de paix" est entré à Jérusalem sur le dos d’un animal pacifique et il intimera à Pierre l’ordre de remettre son épée au fourreau. Au soir de Pâques, son premier mot est "Shalom - La paix!", bien messianique par excellence, attendu depuis des siècles. Ce n’est qu’au terme de l’histoire que nous pourrons vraiment, avec Dieu, nous exclamer: "Cela est très bon!", en écho à la première page de la Bible qui est en fait la maquette du monde à venir. En attendant, nous cheminons à pas lents…
Les motifs ne manquent pas
La violence ne vient pas des livres sacrés, mais de plus loin. Le XXe siècle a voulu se débarrasser des religions pour rendre à l’homme sa dignité de "bon sauvage" (Jean-Jacques Rousseau). En vain. Les boucheries de cette époque ont été engendrées par les pathologies nationalistes et non par les religions. C’est que "ce ne sont pas les religions qui font la guerre, mais ceux qui les pratiquent" (cardinal Tauran). On raconte qu’à Belfast un homme en interrogeait un autre : "Es-tu protestant ou catholique?" L’autre bafouille: "En fait, je suis athée – Oui, mais athée protestant ou athée catholique?"
Que ce soit pour la révolution, la nation ou la religion, les motifs de faire la guerre ne manquent pas. Les drames amoureux, conjugaux, familiaux ainsi que les bandits de grands chemins défrayent la chronique et inspirent les romanciers. La violence peut aussi se loger, de manière anonyme, dans des systèmes économiques ou politiques. Le capitalisme ultralibéral, qui règne en maître sur notre terre et distribue les inégalités, a sur la conscience ces enfants de moins de dix ans mourant de faim au rythme d’un toutes les cinq secondes. La violence de la nature elle-même, due au changement climatique dont le facteur humain n’est pas négligeable, est meurtrière.
Comme une bête sauvage
La tentation sera toujours de chercher, comme disent les enfants, "qui a commencé". Chacun a sa version. Mais les facteurs sont multiples – la religion s’y mêle parfois – et les adversaires ont chacun leur part de responsabilité. La violence se promène d’un camp à l’autre. Ainsi, à propos du déclenchement de la guerre 14-18, les historiens admettent actuellement que les torts étaient partagés. Les motifs de faire la guerre ne sont en général que des prétextes, un déguisement des véritables raisons, moins honorables, ainsi les guerres du pétrole. Le danger est d’assigner la violence à résidence, d’en faire un portrait robot et de l’attribuer à ceux qui ne pensent pas comme moi. Or, elle erre comme une bête sauvage. Je l’ai vue partout, même – et peut-être d’abord – au fond de moi.
L’homme est porteur de violence et assoiffé de pouvoir, les nations, d’hégémonie. Et tout est prétexte. Le premier pas est de l’éradiquer en soi, de ne plus lui donner droit de cité – fût-ce verbalement – dans nos relations quotidiennes afin d’arrêter sa course délétère. Etty Hillesum, cette juive morte fin 1943 à Auschwitz, invitait à "défricher en nous-mêmes de vastes clairières de Paix et [à] les étendre de proche en proche, jusqu’à ce que cette Paix irradie vers les autres". Cela s’apprend.
Charles DELHEZ sj - UNamur