Le combat contre la mort serait-il en passe d’être gagné? Certains, aujourd’hui, n’hésitent plus à l’annoncer! Oubliant un peu vite la dignité humaine…
La Française Jeanne Calment, l’ancienne « doyenne de l’humanité », a vécu 122 années avant de s’éteindre. Nos enfants et petits-enfants – voire nous-mêmes! – allons-nous pulvériser ce record? A force de lire les gros titres récurrents d’une certaine presse, on pourrait le croire. Ici, c’est un médecin chirurgien, spécialiste de la génétique, qui affirme sans rire, dans un quotidien de la capitale, que « la première personne qui vivra mille ans est probablement déjà née ». Là-bas, c’est le philosophe Luc Ferry lui-même, qui prophétisait récemment que « la vie humaine atteindra d’ici à quelques décennies une longévité inimaginable. La mort ne viendra plus de l’intérieur, mais seulement de l’extérieur, comme par inadvertance ». De leur côté, les « transhumanistes » nous rappellent régulièrement les extraordinaires progrès de la médecine: intelligence artificielle, cellules souches, nano- et biotechnologies. Demain, la moindre défaillance de notre corps pourrait être réparée par des puces « ambulances » se glissant au plus intime de nos organes, gènes et tissus…
Une progression galopante
Ces progrès, qui posent des questions éthiques immenses, sont bien réels. Par ailleurs, l’espérance de vie dans les pays riches connaît – c’est incontestable, là aussi – une progression foudroyante. Ainsi, sauf accident, un bébé né en mars 2016 dans un pays de l’OCDE vivra normalement, en moyenne, trois mois supplémentaires qu’un bébé né en mars 2015! A ce rythme, 10% des Belges devraient avoir plus de 80 ans en 2050, soit deux fois plus qu’en 2010…
Il faut toutefois rappeler, primo, que l’espérance de vie en bonne santé se situe nettement en deçà de l’espérance de vie tout court. En Belgique, elle est à peu près de 64 années (un peu moins pour les femmes), alors que l’on meurt en moyenne à 77,9 ans (hommes) et 82,9 ans (femmes). Quantité de déterminants sociaux (logement, alimentation, niveau d’instruction…) sont à l’œuvre. Secundo, certains experts – il est vrai, plutôt minoritaires – pronostiquent au contraire un tassement de la longévité humaine dans les décennies qui viennent. Pourquoi? Parce que les enfants nés ces trente ou quarante dernières années sont exposés, dès la vie utérine, à une grande quantité de produits chimiques. Ceux-ci joueraient à long terme un rôle néfaste dans l’apparition de pathologies telles que le diabète ou les maladies cardio-vasculaires. A l’inverse, la majorité des gens qui « meurent maintenant » sont globalement nés dans l’Après-Guerre, à un moment où l’environnement était plus sain. Ils contribueraient donc à donner une lecture biaisée des statistiques récentes sur l’allongement de l’espérance de vie à la naissance.
L’humain en question
Plus fondamentalement, il faut se poser la question du sens de l’expression « vie humaine ». « Imaginez, comme le suggèrent les transhumanistes, qu’il soit un jour possible de faire la copie d’un cerveau sur un disque dur externe », suggère Philippe van den Bosch, neurobiologiste, spécialiste de la maladie d’Alzheimer et professeur émérite à l’Institut des Sciences de la vie (UCL): « Vous le couplez au cerveau vivant afin qu’il prenne son relais lorsqu’il aura perdu son efficacité. Parallèlement, vous remplacez tous les organes et membres déficients grâce au recours aux cellules souches et aux prothèses. Mais ce corps humain ne sera plus, alors, qu’une sorte de puzzle de haute technologie! Une sorte d’entité bionique truffée de puces électroniques et de matériaux synthétiques! Vivante, certes, mais pas humaine ». Et de s’insurger: « On nous fait croire que nous allons continuer à vivre des dizaines ou des centaines d’années tels que nous vivons aujourd’hui. C’est cela qui est fallacieux. Cela gomme la question du sens-même de notre humanité ».
Francis Demars