“Il y a une mystique de la solidarité”


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“Il y a une mystique de la solidarité”
Par La rédaction
Publié le - Modifié le
6 min

Hudsyn-Vicariat-BWMgr Jean-Luc Hudsyn, évêque auxiliaire pour le vicariat du Brabant wallon, a évoqué pour Dimanche sa vision de la spiritualité. Adoptant un ton plus personnel, il a également parlé de sa propre vie spirituelle, en tant qu’homme, chrétien et évêque. Des mots qui nous introduisent à l’essentiel.

Monseigneur, qu’évoque pour vous le mot "spiritualité"?

Ce terme est interprété dans divers sens, aujourd’hui, entre autres par des courants de type humaniste. Spontanément, j’adopterais une définition chrétienne: la vie spirituelle, c’est vivre ma vie le plus possible au souffle de l’Esprit et à l’écoute de l’Esprit saint.

Comment est-il présent dans ma vie, comment me parle-t-il, vers quoi m’attire-t-il? J’essaie d’être éveillé à cela. La vie spirituelle n’est pas un compartiment à part dans ma vie, une dimension à part. Cette écoute est un travail jamais achevé, et il peut y avoir des hauts et des bas… Oui, pour moi, la vie spirituelle, c’est vivre éveillé à ce lieu en moi où, comme le dit le psaume, "l’Esprit parle à mon esprit".

Ce "lieu" est-il accessible à tous?

Je crois que toutes les grandes religions en témoignent, mais aussi toutes les grandes sagesses. C’est une façon d’exister, d’habiter sa vie de l’intérieur, d’écouter ce qui se vit en soi, et discerner vers quel chemin cela peut nous mener. Je crois effectivement que tout homme peut découvrir cela. Tout homme a d’ailleurs intérêt à le découvrir même si, parfois, certaines cultures ou certaines façons de vivre sa vie n’y mènent pas vraiment.

La vie spirituelle, renvoie à la présence de l’Esprit saint en nous. Diriez-vous aussi, en tant que chrétien, que votre vie spirituelle est trinitaire?

L’Esprit Saint, c’est effectivement cette présence, cette parole, ce souffle divin qui est en nous. Il vient de ce Dieu qui est Père, et il me tourne vers Lui, vers son amour total, vers son pardon, vers son désir de vie et de salut pour moi et pour les autres. Mais, ce Dieu-là, nul ne le connaît s’il ne regarde vers le Christ, puisque c’est le Christ qui nous révèle le visage de Dieu, le cœur de Dieu.

Pour réaliser quelle est cette plénitude de Dieu, il faut nous tourner vers l’incarnation du Fils, vers ce qu’il nous dit du Père, vers ce qu’il a traversé, ce qu’il a vécu. Donc, pour nous, les trois choses sont nécessairement liées. Le souffle qui est en moi, c’est celui du Père, et pour respecter sa différence, pour que Dieu soit vraiment "autre", qu’il ne soit pas simplement la création de mes intuitions, de mes envies ou de mes contradictions, je vais regarder vers cet autre qu’est le Christ, dans ce qu’il a aussi de très humain et de très concret.

L’altérité de Dieu, c’est un point essentiel du christianisme, comparé à d’autres sagesses ou voies religieuses? En même temps, ce Dieu "autre" est très proche de nous...

Oui, je crois que c’est le grand défi de la foi chrétienne, comme d’ailleurs de toute foi monothéiste. Celui de dire que cet autre qui m’est transcendant, qui est tellement plus grand que nous, cet autre est aussi en moi, il est ma source, mon horizon, le but de ma destinée humaine. C’est avec lui, par lui, en lui que je vais pouvoir réaliser pleinement ce que je suis, moi qui suis sa créature. Il est mon chemin de croissance. Et, justement, il me fait grandir parce qu’il est autre. Il est en connivence avec moi: je suis de sa race, comme dit l’Ecriture. Et en même temps, il y a cette différence fondamentale, qui fait que ses chemins ne sont pas spontanément mes chemins.

Dieu, à travers le Christ, est ce chemin qu’il nous faut prendre, que nous avons à découvrir. Il est la vérité de notre être. C’est lui qui me révèle à moi-même. Etant ma vérité, Il est cette source de vie que je ne peux pas me donner à moi-même.

Percevez-vous, plus qu’il y a 10 ou 20 ans, une attente spirituelle chez nos contemporains, qu’ils soient d’ailleurs chrétiens ou non?

Je crois que la foi chrétienne, mais aussi la religion en général, a traversé des moments très dépouillants. Nous sommes passés par la critique de la religion, les grands soupçons du marxisme, de Freud, de Nietzsche… Mais cela a permis de poser de bonnes questions, et de retrouver, justement, cette véritable altérité de Dieu.

Est-ce que Dieu est une récupération que j’utilise pour mon propre confort, pour mon pouvoir, pour m’affirmer? Est-ce que c’est une illusion dont je me sers?... Je crois que la critique de la religion nous a permis de nous replacer au cœur de la foi. Cette traversée sécularisante a ébranlé beaucoup de choses, elle a parfois aussi "horizontalisé" les choses, mais je crois qu’aujourd’hui, renaît une nouvelle quête spirituelle, le désir d’une sagesse, d’une profondeur de l’humain. Pas seulement dans le christianisme d’ailleurs, mais aussi dans ce monde dit "sécularisé". A certains moments, l’homme pressent qu’il est dans l’indicible, qu’il y a comme un au-delà de nous. Mais comment dire que c’est au-delà de nous s’il n’y a que l’homme?

Je crois que la quête spirituelle est largement partagée aujourd’hui, même si ce n’est pas chez tous, et pas dans la logique productiviste, économique, ou affairiste du monde. La confrontation avec d’autres religions nous amène à être interrogés, y compris, par des courants de l’islam très sensibles à la fibre spirituelle. Ces courants nous interrogent sur la mystique dont nous sommes porteurs comme chrétiens, et que nous avons peut-être parfois trop mis sur le côté, ou qui était comme sous-traitée par d’autres: le monde des moines ou des religieux, alors que c’est l’affaire de tout le peuple de Dieu.

Diriez-vous que la dimension spirituelle du christianisme est intimement liée à sa dimension "horizontale" de solidarité? Et pensez-vous que la dimension proprement spirituelle, mystique de la foi chrétienne, doit être au "programme" de l’annonce de l’Evangile?

Pour moi, c’est évident. C’est ça l’incarnation. Tout ce qui est incarné, tout ce qui est ‘horizontal’ est habité par un souffle, doit être habité par un souffle qui nous vient d’ailleurs. La solidarité, cela fait partie de notre identité de chrétien. Le souffle, l’Esprit qui nous habite nous pousse vers les autres. Il nous dit même que c’est aussi dans l’autre que je peux faire l’expérience de la rencontre de Dieu.

Autrement dit, il y a une mystique de la solidarité, de l’engagement social, de l’engagement politique. Au 20e siècle, de grands noms comme Cardijn ou Madeleine Delbrêl vivaient intensément cet aspect. Pour eux, cela n’avait pas beaucoup de sens de dire: "ceci, c’est de l'horizontal, et ceci, c’est du spirituel". C’était leur communion avec Dieu qui sous-tendait leur communion avec leurs frères, et leur solidarité avec les plus petits, les malmenés de la société.

Dans le même sens, vivre notre corps, ce n’est pas seulement vivre une réalité corporelle. La question est aussi: comment mettre du souffle, de l’amour, du respect dans cette expérience de mon corps, et de la rencontre du corps de l’autre. C’est aussi, essentiellement, spirituel. Il n’y a pas de réalité humaine qui ne soit le lieu possible de la rencontre de Dieu. Nous y sommes portés par Lui. Et donc, c’est la mission de l’Eglise de retrouver cette profondeur, cette habitation de nous-mêmes, de toute l’existence et du monde par Dieu. C’est pour ça que l’encyclique du pape "Laudato Si’", sur la protection de la Création, sur la conversion écologique intégrale, est essentiellement spirituelle, en même temps qu’elle pose des questions fondamentales de type économique, social, politique.

Propos recueillis par Christophe HERINCKX

Interview parue dans le journal Dimanche numéro 9. Retrouvez la suite de cet entretien dans le Dimanche numéro 10 du 13 mars 2016. Abonnements ici.

Catégorie : Sens et foi

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