Cette année, le temps liturgique du carême baignera dans une lumière particulière, en raison du Jubilé de la miséricorde. En suivant Jésus au désert, les chrétiens sont appelés, pendant ces quarante jours de retraite, à approfondir ce qui est au cœur de leur foi: l’Amour inconditionnel de Dieu, qui nous donne la vie en nous pardonnant.
Ce mercredi 10 février, l’Eglise, comme chaque année, est entrée en carême, pour se préparer à vivre la Pâque de Jésus. Cette Pâque qui est, littéralement, son passage par la mort au péché à la plénitude de la vie en Dieu, en tant que Fils de Dieu incarné. Non pas mort à son propre péché, mais au nôtre, et à toutes ses conséquences, qui sont rupture avec nous-mêmes, avec les autres et avec Dieu. Cette mort au péché devient effective pour chacun de nous lorsque nous participons, dans l’amour et la foi, à la mort et à la résurrection du Christ, en particulier la nuit de Pâques.
Renoncer à la suffisance spirituelle
En nous retirant avec Jésus au désert pendant quarante jours, nous sommes appelés à un temps de recueillement, de rencontre intime avec Dieu, dans le silence de notre cœur. Ce silence intérieur, qui nous met en présence de nous-même autant que de Dieu, doit nous amener à renoncer, un tant soit peu, à une certaine suffisance spirituelle et matérielle, autrement dit: nous sommes amenés à reconnaître notre pauvreté foncière, humaine, et donc aussi spirituelle.
Et cette prise de conscience, à son tour, s’accompagne d’une ouverture envers la pauvreté, tant matérielle que spirituelle, de l’autre, quel qu’il soit. Si je suis pauvre, c’est-à-dire limité et même blessé dans mon humanité; si je ne suis pas auto-suffisant, mais dépendant de l’autre qu’est mon prochain, et de l’Autre qu’est Dieu, mon prochain aussi dépend de moi. Et Dieu lui-même dépend de moi pour pouvoir atteindre le pauvre qui est mon alter ego.
Cette pauvreté, soyons lucides, est aussi celle de notre péché, sur lequel nous sommes appelés à porter un regard non pas de culpabilité mortifère, d’auto-jugement ou d’auto-condamnation – qui serait, en somme, le regard désespérant que Satan voudrait nous voir porter sur nous-même –, mais le regard que Dieu lui-même porte sur nous. Ce regard, en un mot, est celui de sa miséricorde. Non pas, encore une fois, un regard de jugement ou de condamnation, mais un regard qui, tout en désignant le mal pour ce qu’il est, veut l’éloigner de nous. A la manière d’un mère qui soigne son enfant, pour que nous puissions guérir et nous relever, et laisser s’épanouir la vie en nous. Non pas une fois pour toutes, mais toujours à nouveau, en avançant peu à peu, sans orgueil lorsque nous progressons, et sans défaitisme lorsque nous stagnons, voire régressons.
Accueillir la miséricorde
C’est cela que réalise la miséricorde de Dieu, la vie qu’il nous donne, en nous guérissant, étant sa Vie propre, vie de communion. En accueillant cette miséricorde pour moi, je m’ouvre à la miséricorde envers l’autre, car je sais désormais qu’il est un pécheur pardonné comme moi. Si, par contre, je reconnais que l’autre est pardonné, sans avoir moi-même fait l’expérience de l’être, je risque grandement, à l’image du pharisien des évangiles, de considérer que la miséricorde est faite pour les autres, pour compenser leur injustices, alors que moi, étant juste, je pourrais m’en passer… A ce moment, je fais fausse route, car je n’ai pas compris ce qu’est la miséricorde de Dieu: non pas ce qui vient compenser mes manquements, réels par ailleurs, à l’amour, mais l’Amour lui-même, celui de Dieu.
C’est ce que nous rappelle inlassablement le pape François, depuis le début de son pontificat, et plus particulièrement en appelant les catholiques – mais également tous les chrétiens, et aussi, dans une certaine mesure, tous les humains – à (re)découvrir ce qu’est la miséricorde de Dieu en cette année jubilaire.
Message de carême
Voici ce qu’il écrit dans son « Message pour le carême 2016 », publié officiellement le mardi 26 janvier: « Dans la Bulle d’indiction du Jubilé, j’ai invité à faire en sorte que ‘le Carême de cette Année Jubilaire soit vécu plus intensément comme un temps fort pour célébrer et expérimenter la miséricorde de Dieu’ (Misericordiae vultus, n. 17). (…) La miséricorde de Dieu est certes une annonce faite au monde: cependant chaque chrétien est appelé à en faire l ‘expérience personnellement. »
Un peu plus loin, le pape décrit ce qu’est la miséricorde de Dieu: « Le mystère de la miséricorde divine se dévoile au cours de l’histoire de l’alliance entre Dieu et son peuple Israël. Dieu, en effet, se montre toujours riche en miséricorde, prêt à reverser sur lui, en toutes circonstances, une tendresse et une compassion viscérales, particulièrement dans les moments les plus dramatiques, lorsque l’infidélité brise le lien du pacte et que l’alliance requiert d’être ratifiée de façon plus stable dans la justice et dans la vérité. »
L’histoire de l’alliance entre Dieu et les hommes est donc le dévoilement progressif de ce qu’est Dieu, à savoir miséricorde. Cette histoire doit être comprise comme un véritable « drame d’amour où Dieu joue le rôle du père et du mari trompé, et Israël celui du fils ou de la fille, et de l’épouse infidèles. » Ce drame « atteint son point culminant dans le Fils qui s’est fait homme. Dieu répand en lui sa miséricorde sans limites, au point d’en faire la ‘Miséricorde incarnée’ (Misericordiae Vultus, n. 8). »
Bref, Dieu n’est pas seulement miséricordieux, il est miséricorde. Et pour comprendre ce que signifie ce mot tombé en désuétude pour beaucoup, il faut porter son regard sur l’histoire de l’alliance entre Dieu et les hommes, et au plus haut point sur la personne, les paroles et les actes de Jésus, qui nous montrent ce qu’elle est: tendresse et compassion « viscérales » de Dieu pour nous.
La miséricorde, une expérience à vivre
En ce temps de carême, nous sommes donc tout spécialement invités à faire l’expérience de cette réalité divine, de cet aspect essentiel de la foi chrétienne. Comment faire cette expérience? Deux voies privilégiées et indissociables s’offrent à nous: la pratique et la prière. Comme le rappelle le pape dans son message, « notre foi se traduit par des actes concrets et quotidiens, destinés à aider notre prochain corporellement et spirituellement, et sur lesquels nous serons jugés: le nourrir, le visiter, le réconforter, l’éduquer. »
Ces actes d’amour, le Saint Père, dans la continuité de la tradition de l’Eglise, les appelle « œuvres de miséricorde ». En les pratiquant, nous faisons concrètement l’expérience de la miséricorde, tant il est vrai que l’action, surtout celle motivée par la foi, induit une expérience spirituelle authentique. L’action, toujours, mène à la contemplation du Mystère de Dieu, entraperçu dans le prochain que l’on aime concrètement.
Prendre du temps
Réciproquement, la contemplation nous amène à l’action. Pour pouvoir contempler le Mystère, il faut aussi, en un sens, agir très concrètement, en prenant du temps pour la lecture des Ecritures, la méditation silencieuse des paroles et des actes de Jésus, de sa vie, de sa Personne, qui nous met en contact avec le Mystère de Dieu lui-même, son Père et notre Père, dans ce « milieu » qu’est l’Esprit. Contempler Jésus, le toucher par nos sens – l’écouter, le voir, le toucher dans les évangiles et les sacrements –, c’est contempler Dieu, en se laissant contempler par Lui, qui se rend présent dans notre intimité la plus profonde.
Est-ce possible, alors que nos vies sont déjà débordantes de toutes sortes d’activités, de soucis et de stress, d’obligations familiales et professionnelles? A cette question, une seule réponse n’est sans doute possible: décider de prendre du temps, à un moment de la journée, pour s’arrêter, se poser, pour entrer dans le silence et la méditation. Au besoin, le noter dans son agenda, comme un rendez-vous important. Pensons à cette phrase, attribuée à saint François de Sales: « Une demi-heure de méditation est essentielle, sauf quand on est très occupé. Alors une heure est nécessaire ».
Christophe HERINCKX (Fondation Saint-Paul)