Il y a tout juste un an, la rédaction de Charlie Hebdo était décimée par une attaque terroriste, qui tua aussi des policiers et une personne responsable de l’immeuble qui abritait le journal satirique. En deux jours, 17 personnes perdront la vie. Un an plus tard, que reste-t-il de ce jour qui a sans aucun doute été un tournant?
Volontairement, nous n’avons pas voulu évoquer hier la sortie du numéro de Charlie Hebdo, qui « commémorait » les attentats du début de l’an dernier. Les raisons sont diverses.
D’abord parce que la « Une » de l’hebdomadaire satirique français paru mercredi est volontairement provocatrice, bien évidemment. Charlie Hebdo est de nature iconoclaste, pas toujours de très bon goût et volontairement bête jusqu’à être parfois méchant et choquant. Cette couverture de Charlie Hebdo a fait couler beaucoup d’encre, hier. Ainsi, le quotidien du Vatican, L’Osservatore Romano, a réagi à cette Une montrant un Dieu barbu armé d’une kalachnikov et surmonté du titre: « Un an après, l’assassin court toujours ». Polémique inutilement provocatrice. « Dans le choix de Charlie Hebdo, on retrouve le triste paradoxe d’un monde toujours plus attentif au « politiquement correct », au point de frôler le ridicule (…) mais qui ne veut pas reconnaître et respecter la foi en Dieu de chaque croyant, quel que soit le credo qu’il professe », rapporte le quotidien du Vatican, ajoutant: « Derrière la bannière trompeuse d’une ‘laïcité sans compromis’, l’hebdomadaire français oublie encore une fois combien de leaders religieux de toute appartenance répètent depuis toujours leur refus de la violence au nom de Dieu ».
En France, quelques réactions sont venues de personnalités musulmanes, même si le Prophète Mahomet n’a pas cette fois été visé, ce dessin véhiculant une représentation de Dieu finalement plus proche de l’imagerie judéo-chrétienne. Le président de l’Observatoire contre l’Islamophobie a dénoncé un texte très violent et très insultant à l’égard des religions. La Conférence des évêques de France a préféré ne pas commenter « ce qui ne cherche qu’à provoquer, alors que la France n’a pas besoin de ce genre de polémique ».
La seconde raison qui nous a conduits à ne pas évoquer uniquement cette Une polémique, c’est aussi parce que 365 jours après les attentats, les réalités humaines terre à terre ont malheureusement pris le dessus. Faiblesse de notre condition humaine. Quand on n’a rien, qu’on est motivé par un idéal, quel qu’il soit, on se serre les coudes. L’engouement de soutien qui est apparu pour soutenir financièrement le journal a entraîné bien évidemment une remise à flot de ses finances. Le nombre d’abonnements s’est fortement accru et le numéro édité juste après les attentats, vendu à 7,5 millions d’exemplaires, a rempli les caisses vides d’un hebdo au bord de la faillite.
Et la réalité est moins belle que celle que l’on veut faire passer. Sur le plateau du JT de la RTBF de ce mercredi 6 janvier, une des membres de la rédaction, survivante de l’attaque, a clairement confirmé que des conflits se déroulaient entre actionnaires autour du pactole financier récolté, avec comme corollaire une scission latente au sein de la rédaction. Triste.
Enfin, il y a la récupération politique qui pousse certains à davantage mettre en avant le concept de laïcité de l’Etat et de ramener la religion au seul domaine du privé. Erreur qui ne fera qu’engendrer des sentiments d’injustice. Parce que je suis croyant, je n’aurais pas le droit d’exprimer en tant que tel mon opinion? Croire que les religions sont source de conflits, c’est se méprendre sur la réalité, même si au nom de celles-ci, on a tué et massacré et qu’on le fait toujours.
Aucune justification
Pourtant, il ne faut pas occulter les drames de janvier 2015. Que l’on aime ou non Charlie Hebdo, qu’on partage ou pas ses idées, ni son sens de la provocation, n’est pas important. La violence, quand elle atteint de telles extrémités, est incompréhensible et n’a aucune justification. Il y a un an, nous étions tous Charlie. Avec le cœur lourd et triste. Comme journalistes, nos pensées allaient aussi vers ces confrères assassinés en ne faisant que leur métier, et à leurs proches, mais également à ces policiers, abattus froidement, alors qu’ils étaient là pour défendre la société et la population. Les attentats de janvier 2015 nous ont fait prendre conscience aussi ce que d’autres vivent ailleurs dans le monde: une violence aveugle, barbare qui peut frapper n’importe où, n’importe quand. C’est en cela que nous sommes touchés. Nous ne savions pas à l’époque que huit mois plus tard, d’autres victimes innocentes tomberaient sous les balles de tueurs froids.
Alors, un an plus tard, que reste-il? Sans aucun doute, le 7 janvier 2015 a marqué un tournant. Dans les jours qui ont suivi, quelque 10.000 militaires et 5.000 policiers et gendarmes furent déployés dans l’Hexagone pour protéger les lieux sensibles. Les autorités gouvernementales françaises mais aussi européennes ont pris conscience que la menace était plus forte qu’on ne l’imaginait. Ils se sont donc attaqués à ceux tentés par l’apologie du terrorisme, d’un côté, et à ceux qui, mélangeant tout, multipliaient les agressions et profanations contre les mosquées.
Depuis, la politique sécuritaire s’est encore accrue. On doit remercier ceux et celles-ci qui patrouillent dans nos rues pour protéger nos libertés. Mais cela doit rester exceptionnel et temporaire. A court terme, il reste un chantier immense à ouvrir pour défendre la démocratie face à la violence terroriste mais aussi pour rassurer la population et implémenter une véritable intégration d’un vrai « vivre ensemble ». Et là, quelles que soient nos convictions, nous avons tous un rôle à jouer!
Jean-Jacques Durré