Louvain Coopération est présente à Madagascar depuis 1995. L’asbl y déploie un programme ambitieux de soins et de prévention porté par toute la communauté universitaire. Grâce à elle, un hôpital vient d’entrer en fonctionnement dans le sud-ouest de l’île.
Il y a des coins du monde aux illusions de paradis terrestre. La nature y est unique et le temps semble s’y être arrêté. Sauf qu’à y regarder de plus près, le paradis ne peut pas être là. Avec ses 23 millions d’habitants, l’Ile Rouge a 80% de sa population sous le seuil de pauvreté. De quoi interpeller les plus blasés. Et lorsqu’on atterrit à Antananarivo, la capitale de Madagascar, cela saute aux yeux. Les gamins en guenilles, ce n’est pas du cinéma, ils sont accrochés aux taxis pour quémander une pièce ou tout simplement une bouteille d’eau. Si le paysage reste exceptionnel, avec ses allées de baobabs centenaires photographiés par les touristes, aux alentours, les enfants se battent pour des restes de sandwiches.
Pendant une dizaine de jours, « Louvain Coopération » a invité quelques journalistes à découvrir ses projets sur le sol malgache où l’asbl est présente depuis 1995. Loin de l’assistanat, elle a analysé et déployé sur place un programme ambitieux porté par toute la communauté universitaire de l’Université Catholique de Louvain.
Direction donc le Menabe, l’une des régions les plus pauvres, au sud-ouest de la Grande Ile. Depuis le coup d’état de 2009, le pays vit dans une instabilité permanente et a vu, à la fois, son économie s’écrouler et l’insécurité exploser. Pas de quoi faire reculer Louvain Coopération qui, patiemment met ses programmes en place telle une fourmi laborieuse. Et l’un de ces projets phare vient d’ailleurs de se concrétiser. A Belo sur Tsiribihina, un gros village, au bout de la piste ou plus exactement de l’autre côté du fleuve Tsriribine, un hôpital est sorti de terre. Pour le rejoindre, il ne suffit pas d’avaler la poussière de plusieurs heures de route, il faut encore traverser le fleuve en question. Lorsqu’il pleut, il est parfois tout simplement infranchissable mais, heureusement, ce n’est pas le cas en cette saison.
C’est, on peut dire, en grande pompe que l’hôpital Saint François d’Assise ouvre donc ses portes. Le premier ministre, le ministre de la santé, les autorités ecclésiales et les villageois sont au rendez-vous. Sans oublier la direction de Louvain Coopération, bien sûr, à l’initiative du projet. Il est vrai que cet établissement était attendu comme une bonne nouvelle. Il existe bien un hôpital public sur Belo, mais qui voudrait s’y aventurer? La médecin en charge là-bas l’avoue elle-même: « Nous stérilisons comme nous pouvons, un peu de Javel et un peu d’eau, nous n’avons rien d’autre ». Un simple coup d’œil d’ailleurs suffit pour remarquer la plupart des lits sans matelas. Quant à la salle d’accouchement, elle a connu des jours meilleurs. Sans compter sur les cyclones qui ont déferlé sur Madagascar en janvier en emportant une bonne partie des infrastructures. Rien n’a été remplacé ni reconstruit. A côté de ce dénuement, l’hôpital Saint François affiche une infrastructure rassurante.
Louvain Coopération compte heureusement sur une alliée de poids dans sa recherche de solutions: l’Eglise. Alors que l’Etat peine à s’investir dans l’amélioration de la situation sanitaire ou économique et sociale, en raison de son instabilité et de sa corruption, les institutions ecclésiales travaillent aux côtés des ONG du mieux qu’elles peuvent.
Un poulet ou quelques fruits contre des soins
D’ailleurs, le lendemain, loin des flonflons de l’inauguration, les Sœurs hospit
alières de la Miséricorde qui assistent les médecins de l’hôpital Saint François d’Assise accueillent à tour de bras les patients venus de tous les villages environnants. Ils sont déjà plus de cinquante à attendre, au petit matin. Elles prendront en charge ceux qui n’ont pas de quoi payer la consultation. Ils reviendront plus tard, peut-être, rembourser leur dette par un poulet, quelques fruits ou quelques pièces. Ce jour-là, Christian de Clippele, chirurgien et directeur du Programme santé de Louvain Coopération est sur place pour réaliser les premières opérations chirurgicales. Il les enchaînera jusqu’au soir. Qu’en sera-t-il dans les prochains mois? Aucun chirurgien ne le remplacera immédiatement. Par la suite, d’autres viendront régulièrement, soit de la capitale, soit d’Europe pour des périodes très limitées.
L’idéal serait de trouver un partenariat avec l’hôpital de la ville la plus proche, Morondave. Louvain Coopération et l’évêché de la région y travaillent et espèrent qu’un chirurgien pourra se libérer deux ou trois jours par mois.
Mais, si l’on tient compte, en plus, des traditions, tout n’est pas gagné d’avance. Depuis 42 ans, le père Vincent vit non loin de Belo et la réalité malgache, ce missionnaire italien, la connaît bien. « Les villageois, ils ne partent pas tout de suite à l’hôpital, c’est la coutume locale; il faut d’abord consulter la médecine traditionnelle, ceux que nous appelons les « tradi-praticiens », essayer les remèdes locaux. Et parfois, cela marche. Ou alors, aller au Centre de santé de base tenu théoriquement par un infirmier. Malheureusement, dans les villages les plus reculés, ceux-ci abandonnent très souvent leur poste dès qu’ils touchent leur salaire et retournent à la ville, le Centre de santé est carrément abandonné. Alors, c’est seulement par désespoir que les malades partent à l’hôpital. Souvent, ils demandent le miracle aux médecins sur place… mais il est trop tard. Et puis, il faut traverser le fleuve. En période de pluie, cela prend des jours. On ne compte plus les malades qui décèdent sur les berges.»
Comment mettre en balance des siècles de médecine traditionnelle, basée sur la connaissance des plantes ou sur des méthodes beaucoup plus aléatoires visant la bénédiction des ancêtres, avec une médecine tout à fait conventionnelle? Les ONG ont du pain sur la planche. D’un côté, des guérisseurs forts d’une culture qui leur donne tous les pouvoirs et à la portée de la bourse de chacun, mais dont le savoir ancestral a tendance à disparaître faute de transmission et l’arrivée de nombreux charlatans. De l’autre, une médecine qui récolte les malades les plus atteints et n’arrive pas toujours à les traiter puisqu’ils arrivent souvent en bout de parcours. Il faudra de la patience pour que les programmes de prévention mis en place portent leurs fruits et incitent les villageois à prendre rapidement le chemin de la clinique pour les accidents, les maladies ou les accouchements qui requièrent des soins adaptés. Le père Vincent, lui, ne semble pas découragé, il est même plutôt optimiste, «Sinon, je ne serais plus ici! » ajoute-t-il.
A l’hôpital Saint François, les soins commencent donc à s’organiser et les responsables de Louvain Coopération mettent en place tout un programme de sensibilisation auprès des villages environnants. Mais il faudra encore bien des années avant d’améliorer la situation sanitaire de Belo ou, à plus grande échelle, de Madagascar.
Corinne owen
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