Au cœur de l’automne se profile toujours un été indien: une période plus ensoleillée et plus douce. En cette saison, le calendrier liturgique nous propose lui aussi son été indien: la fête de la Toussaint, la fête des Vivants.
Curieusement, pour bon nombre de nos contemporains, la Toussaint est associée à la mort, notre seule certitude ici sur terre. Pour celles et ceux qui sont influencés par la lumière et le mercure, il est vrai que cette période de l’année n’est pas la plus réjouissante! Cette fête est souvent identifiée à la commémoration des défunts, célébrée le lendemain, en témoigne le dicton populaire qui nous rappelle ironiquement que "La Toussaint est le jour où les morts de demain vont rendre visite à ceux d'hier". Par ailleurs, depuis quelques années, notre culture la confond même avec la fête anglo-saxonne d’Halloween (signifiant "la veille de tous les Saints" en ancien anglais), une fête folklorique célébrée le soir du 31 octobre par un nombre de plus en plus important de personnes.
Il est difficile de déterminer l’origine exacte de la fête de la Toussaint. Ce qui est certain, c’est qu’au VIIIe siècle, elle est fêtée à Rome le 1er novembre, lorsque le pape Grégoire III dédicace une chapelle de la basilique Saint-Pierre en l’honneur de "tous les saints". Par la suite, le pape Grégoire IV ordonnera que cette fête soit célébrée dans le monde entier. Certains pensent que l’origine de cette pratique remonte au calendrier celtique, pour lequel l'année commençait le 1er novembre. Les jours qui précédaient étaient réputés dangereux, car rôdaient les esprits des morts qui n'avaient pas trouvé le repos et on faisait du bruit de toutes sortes pour les chasser. Au Ve siècle, les moines irlandais - toujours attentifs à intégrer les pratiques folkloriques locales - auraient tenté de mettre fin à ces manifestations en transformant cette pratique en une fête des saints.
Aujourd’hui, ceux qui célèbrent Halloween se déguisent en fantômes et en sorcières, entraînant plus encore une confusion entre la fête de la Vie et la commémoration de nos défunts. Or, c’est tout le contraire que nous célébrons le jour de la Toussaint. Entre la fête folklorique du 31 octobre et la fête liturgique du 2 novembre, cette magnifique fête des vivants vient au cœur de cette peur de la mort que nous pouvons tous éprouver. Si la culture Halloween joue les "morts-vivants", la Toussaint nous montre que la sainteté consiste à être des "mortels-vivants", à être témoin du Ressuscité, pour qui la mort n’a plus d’emprise. Il y a toujours eu, à travers les siècles, des hommes et des femmes qui ont incarné dans leurs faits et gestes cette foi et cette confiance de vie au cœur de nos morts. Ces saints ont été des passeurs de lumière, des témoins courageux d’une force venue d’ailleurs. Ils nous ont montré que le monde ne se réduit pas à son inhumanité, à son absurdité et à nos hivers existentiels. Par cette fête, nous célébrons d’abord tous ces saints qui ont vécu l’audace de l’Evangile. Mais s’il n’y avait que les saints du calendrier, nous serions peut-être frappés de découragement. Il y a aussi tous les saints inconnus qui, consciemment ou non, ont témoigné de l’espérance qui était en eux. Ils n’ont pas besoin de vitraux ou de statues pour être commémorés puisque leurs noms sont à jamais gravés dans le cœur de Dieu.
Vivre pleinement la vie en abondance
La Toussaint est la fête de ces saintes et saints, anonymes ou non, mais elle nous rappelle également que le projet de Dieu pour son humanité est que nous soyons tous des saints! Voici le dessein de Dieu: "Que vous soyez des Saints! ", nous dit saint Paul (1 Thess 4:3). Oserions-nous, dès lors, nous associer à toute cette multitude des saints? Oui, des saints, nous le sommes, car nous formons un peuple saint, appelé à le devenir chaque jour davantage dans nos existences individuelles. Bien entendu, nous ne sommes pas des exemples de perfection ou de morale, mais l’essentiel n’est certainement pas là. Nous formons cette sainte Eglise des pêcheurs, une communion de "mortels vivants" en marche, qui croient que la vie vécue en abondance est inconditionnellement possible et toujours plus forte que la mort.
La Toussaint est dès lors pour nous l’occasion de méditer l’un des passages plus extraordinaire et subversif de l’Evangile: les béatitudes. Soyons saints, soyons heureux, même si tout dans notre monde nous invite au contraire ou à des bonheurs fallacieux. Un bonheur de vie au milieu de forces de morts reste possible pour celui qui espère. Voilà la vraie sainteté et le sens de la Toussaint: vivre pleinement la vie en abondance afin de mourir en ayant vécu et aimé et non comme des "morts-vivants" ou des êtres "déjà morts". Ne mettons donc pas de la mort dans la Vie, comme le font ceux qui célèbrent Halloween, mais de la Vie au milieu de nos existences mortelles et parfois stagnantes. Tout au long de l'histoire humaine, il y a une multitude de femmes et d'hommes qui nous ont montré ce chemin et qui ne se sont pas laissés enfermer dans cet esprit du monde parfois résigné. Ils ne vivaient pas une sainteté inaccessible et désincarnée. Les béatitudes ne consistent pas en une "attitude de béats"! Ils ont simplement cru l’Evangile possible. Ils ont compris que la sainteté à l’usage de tous était l’extraordinaire audace des béatitudes vécues au quotidien. C’est pourquoi, la Toussaint s’adresse à tous. Le dessein de Dieu est que nous soyons davantage des saints, heureux dans nos vies parfois bien anonymes à nos yeux, mais jamais pour le regard de Dieu.
Didier Croonenberghs, o.p.