Samedi, les pères synodaux ont adopté le rapport final du synode sur la famille. S’il ne contient aucune décision formelle, il exprime des orientations pastorales qui ouvrent la porte à des solutions pour les situations difficiles. Un travail de maturation attend maintenant le pape et les évêques.
Un certain nombre de catholiques, surtout en Europe occidentale, et pas seulement eux, s’attendaient à ce que le rapport final du synode sur la famille contienne des décisions claires, précises et ouvertes sur un certain nombre de sujets. En particulier sur les situations dites « irrégulières », comme celle des divorcés-remariés ou des couples de personnes de même sexe. Plus particulièrement encore, d’aucuns espéraient que le synode ouvre l’accès des divorcés-remariés aux sacrements de la réconciliation et de l’eucharistie.
En lieu et place, le rapport rappelle l’enseignement fondamental de l’Eglise sur le mariage et sur la famille, et ne propose « que » des orientations pastorales pour accompagner les personnes et les couples en situation difficile, blessées dans leur vie de couple, vivant une rupture, ou encore engagées dans une nouvelle relation. Pourtant, on aurait tort d’y voir un échec ou le résultat d’un blocage dans les débats qui ont animé trois semaines de travaux synodaux.
Un document consultatif
Rappelons d’abord que le rapport d’une assemblée synodale n’est pas un texte « législatif » exprimant des décisions engageant l’autorité du pape et des évêques en matière de doctrine, voire une série de règles décrivant ce qu’il convient de faire dans tous les cas de figure. Un tel texte serait, d’ailleurs, concrètement inapplicable, les lois et les règles ne pouvant revêtir qu’un caractère général, et ne répondant jamais à toutes les situations particulières. Un texte peut évidemment engager l’autorité doctrinale de l’Eglise, telles une constitution votée lors d’un concile, ou une encyclique pontificale.
Encore une fois, il ne s’agit pas de cela ici, mais d’un document « consultatif », proposant au pape des orientations pastorales, à partir desquelles celui-ci peut, effectivement, prendre certaines décisions relatives à certains points de la discipline de l’Eglise, à travers une exhortation post-synodale par exemple.
Ouvert et inspirant
Soulignons ensuite que, de par son contenu, notamment son appel à un discernement qu’il convient d’appliquer dans les situations particulières, le rapport final du synode – qui, rappelons-le, a été adopté à une large majorité des deux tiers par les pères synodaux, toutes sensibilités confondues – se révèle particulièrement ouvert et inspirant. Il invite les pasteurs de l’Eglise, mais également les fidèles, à entrer dans la logique de la pédagogie divine, empreinte de patience et de miséricorde, pour avancer, tous ensemble, sur la voie de la vie familiale, telle que rêvée par Dieu. En ce sens, le document invite aussi, entre autres, à une préparation plus soignée au mariage, qui tienne compte de tous les cas particuliers, par exemple celui de couples dont l’un des futurs conjoint est catholique, mais pas l’autre.
Un travail de maturation
Bref, le rapport final du synode ouvre des perspectives, à partir de l’écoute des personnes et des situations concrètes, mais également de la Parole et de l’Esprit de Dieu. Que va-t-il, ou que peut-il se passer maintenant?
Car, bien que les travaux de la 14e assemblée ordinaire du synode sont désormais clôturés, il est clair que le travail, la réflexion sur la vocation comme les difficultés de la famille, vont continuer à tous les niveaux de l’Eglise, celui du pape et des évêques, mais aussi des personnes engagées, dans les diocèses, dans la pastorale des couples et de la famille, et finalement des familles elles-mêmes, premières concernées. Comme Mgr Johan Bonny, représentant des évêques belges au synode, l’avait envisagé dès les premiers jours des travaux synodaux, trois semaines d’échanges ne pouvaient régler toutes les questions, mais un travail de maturation attend maintenant l’Eglise, travail qui devra prendre le temps nécessaire pour porter du fruit.
Décentralisation opportune
Cette maturation pourra prendre plusieurs formes, qui ne s’excluent d’ailleurs pas mutuellement, et dont les contours transparaissent à travers certains discours ou déclarations tenus lors du synode.
D’abord, en remettant leur rapport au pape François ce samedi 24 octobre, les évêques lui ont demandé de s’exprimer à son tour. Expression qui pourra prendre la forme d’une exhortation, et contenir l’une ou l’autre décision. Cependant, et bien que nous ne puissions présager de ce que va écrire le pape, il semble peu probable que ce futur texte contienne des décisions précises et définitives relatives à la pastorale ou la discipline de la famille dans l’Eglise. En effet, au cours du synode, le pape lui-même a plusieurs fois encouragé ses frères évêques à ouvrir les portes de la miséricorde de Dieu, mais aussi à une nécessaire décentralisation de l’Eglise, permettant aux évêques, dans leurs diocèses et leurs conférences épiscopales respectives, de répondre aux situations pastorales qui se présentent dans leurs Egises locales. François a donc encouragé une dynamique, et il est peu probable qu’il y mette un terme en prenant des décisions contraignantes à ce stade de la réflexion de l’Eglise. Il nous semble plus plausible que le Saint-Père, le cas échéant, encourage les évêques et les fidèles à s’engager résolument dans la dynamique inaugurée par le synode.
En appelant à un accompagnement personnalisé et à un discernement au cas par cas, le rapport du synode va aussi dans ce sens de la décentralisation de la pastorale de l’Eglise, en matière familiale en l’occurrence.
Plusieurs pistes possibles
Quelles figures pourraient adopter une telle décentralisation? Premièrement, on peut envisager que chaque évêque réfléchisse comment accueillir d’une manière renouvelée dans son diocèse, les personnes, les couples ou les familles susceptibles d’entamer un cheminement. Que ce soit, par exemple, en vue d’un mariage sacramentel, en vue d’un baptême, mais aussi en vue d’un processus de discernement à mettre en place pour des personnes divorcées et remariées civilement. Il s’agit, d’une part, de se mettre à l’écoute de toutes les situations et, d’autre part, de trouver les voies pour que les personnes puissent accueillir, concrètement, l’amour et la miséricorde du Père dans leur vie et se mettre à la suite du Christ, en partant de là où elles sont.
Deuxièmement, une période de « test » pourrait être proposée, au cours de laquelle les diocèses mettent à l’épreuve différentes formules d’accompagnement et de discernement, essayant différentes réponses pastorales, afin de vérifier quels en sont les fruits mais aussi les impasses. Au terme de cette période, chaque diocèse, ou chaque conférence épiscopale, pourrait faire « remonter » les conclusions de cette expérience jusqu’au pape, via le nouveau dicastère que celui-ci a annoncé vouloir créer, regroupant les domaines du laïcat, de la famille et de la défense de la vie, et qui est appelé à coordonner la suite du travail.
Troisièmement, l’on pourrait prévoir, après un certain temps, des synodes régionaux, voire même continentaux, qui prendraient certaines décisions pastorales ou disciplinaires, par exemple sur l’accès de certaines personnes en situation irrégulière aux sacrements. De telles décisions éventuelles, décentralisées, devraient alors être confirmées par le pape, dont le ministère consiste principalement à veiller à ce que l’unité de la foi et de l’enseignement fondamental de l’Eglise soient sauvegardées, mieux encore renforcées à travers les orientations prises par les différentes Eglises dites « particulières ».
Ces différentes possibilités ne sont bien sûr que des hypothèses. L’avenir nous apprendra comment le dynamisme pastoral, axé sur la miséricorde, tel que voulu par le pape, prendra des formes concrètes dans l’Eglise universelle, qui est essentiellement communion des Eglises particulières autour de l’évêque de Rome.
Christophe HERINCKX